Eric Genetet : Comment avez-vous vécu ce confinement ?
Claude Sturni : J’étais beaucoup au téléphone et j’ai essayé le télétravail, autant que faire se peut. Il fallait aussi donner l’exemple et se protéger. Avec mon équipe, nous avons continué à faire le boulot autrement, nous sommes passés des conférences audio aux vidéos, on avait besoin de se voir.
Avez-vous appris des choses sur vous-même ?
Pas tant que cela, car j’ai vécu à l’automne deux mois et demi de confinement pour cause de maladie. La différence était que là, nous étions tous confinés en famille.
Quelle image restera de cette crise sanitaire ?
D’abord le bénévolat. Le fait d’être confiné et d’avoir du temps a déclenché les élans de générosités et de solidarité, alors que la tentation d’être rivés sur les écrans était grande. On ne pensait pas qu’autant de personnes étaient prêtes à sortir de chez elles, et je ne parle pas des soignants, pour donner du temps aux autres, pour contribuer et apporter quelque chose de positif aux autres. C’est assez exceptionnel dans une commune de notre taille. C’est une image forte. C’est aussi pour cela que le territoire a tenu bon.
Êtes-vous de ceux qui sont sévères sur la gestion de la crise par l’exécutif ?
Je ne veux pas commenter la politique nationale. Nous sommes dans une situation inédite, je ne suis pas président, je ne peux pas me mettre à sa place. Je ne vais pas faire semblant de connaître les informations qu’il avait quand il a pris ses décisions.
Mais pour les masques, comment avez-vous vécu tout cela ?
Je suis arrivé rapidement à la conclusion qu’il en fallait, mais je n’ai pas avancé seul. J’ai beaucoup échangé avec mes collègues du Bas-Rhin et nous avons fait une commande groupée. Je voulais être certain que nous allions acheter du matériel de qualité, mais en parallèle, il y a eu cette idée d’en fabriquer. Avec la mise à disposition de la Salle des corporations, nous avons facilité cette initiative qui a pris une ampleur incroyable. Nous allons atteindre les 20 000 masques. À Haguenau, la vie associative et des actions de solidarité spontanées rendent les choses possibles.
Les grandes manifestations emblématiques sont annulées, mais Haguenau mène des pistes de réflexion pour animer son été. Par exemple, les restaurateurs pourront étendre leurs terrasses sans contrepartie…
Il est clair que notre ambition reste la même, c’est-à-dire d’animer notre centre-ville intergénérationnel, dans la simplicité et la convivialité. La sécurité a pris une autre tournure, l’épidémie est encore là et nous sommes partis pour porter des masques quelque temps. Mais je vois que les gens ont envie de sortir et j’espère qu’ils auront envie de consommer, car les acteurs économiques doivent tenir le choc. Notre centre-ville est attractif, il faut qu’il le reste, même dans cette année compliquée. Nous avons beaucoup réfléchi, avec les responsables de la CAP notamment.
À quel point, votre ancienne vie de dirigeant d’entreprise vous aide aujourd’hui ?
Pour constituer des équipes, les faire progresser et élaborer des projets partagés. Si j’avais exercé une profession où il faut d’abord travailler seul, je pense que je n’aurais pas été capable de faire ce que j’ai fait pour Haguenau. Pendant la crise, les gens viennent voir le maire en se disant qu’il a réponse à tout.
Le maire doit-il avoir réponse à tout justement ?
Non. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas connaître tous les détails, mais je dois savoir qui peut donner les bonnes réponses. Comme cela personne ne lève le pied, chacun reste excellent dans son domaine. En fait, je suis très exigeant.
Sur votre page Facebook, j’ai trouvé un post d’une émission de France Inter avec Boris Cyrulnik comme invité. Il disait : « On aura le choix entre vivre mieux ou subir une dictature » et aussi : « Si l’on massacre le monde vivant, on partira avec lui ». Il ne semblait pas très optimiste pour l’avenir de l’humanité. Et vous ?
Il faut l’être, mais je me projette et je me demande ce que je dois faire pour que mon optimisme ne soit pas béat, pour que mes idées se concrétisent. Évidemment, les choses ont changé depuis que je suis devenu papa. Quel monde allons-nous construire pour nos enfants ? C’est une question à laquelle je réfléchis beaucoup. Je me dis que ce n’est pas gagné, mais si je commence à renoncer, à ne pas y croire, un jour ma fille me le reprochera. Je suis un optimiste qui pense que c’est possible, mais qu’il faut se battre. J’aimerais bien que les humains se disent que l’on va transformer notre société, notre planète. Ici, en Alsace du Nord, il y a de belles choses à faire.
Et votre troisième mandat ne fait que commencer ! Vous êtes parti pour rester maire au moins 18 ans, c’est toute une vie.
Vous parliez tout à l’heure de ma carrière de chef d’entreprise, je suis resté 22 ans chez Millipore alors que je ne pensais pas dépasser les 3 ou 4 ans. Tant que je trouve de nouveaux challenges, tant que les gens me font confiance et que j’en ai envie, tant que mon projet est partagé, je continue.
Que peuvent faire les élus locaux pour le climat ? Avez-vous les moyens d’agir ?
C’est une vraie question. Une question que l’on se pose en équipe. Nous avons des projets, à notre échelle. Cela peut relever de l’exemplarité, d’une réaffectation budgétaire pour encourager les comportements. Je me demande si notre engagement aurait assez d’impact, mais je pense que si tout le monde s’y met, nous y arriverons. On changera les choses même si nos ambitions peuvent maintenant se heurter à cette crise sanitaire qui nous oblige à nous questionner, à croire aux ressources d’une commune, d’une communauté.
Vous avez été adjoint au maire chargé de la culture, membre de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, vous êtes un peu le Jack Lang d’Alsace du Nord, mais qui lui serait devenu président !
Quand Pierre Strasser m’a confié la culture à Haguenau, je n’étais pas fier et je continue à me sentir petit devant ceux qui font des choses fantastiques. À Haguenau, la culture n’est pas réservée à quelques initiés. Elle doit être partagée par tous et nous pouvons vivre de sacrées belles heures en dehors des métropoles.
Il y a quelque mois, vous avez annoncé votre maladie dans une vidéo. C’est une façon de communiquer qui a pu surprendre.
Cela s’est fait très vite. Avec mon épouse, nous avons pris la décision de faire cette vidéo, car nous étions convaincus qu’il valait mieux dire les choses, plutôt que de laisser les rumeurs se propager. Il fallait que je reste à la maison, et les citoyens allaient forcément remarquer mon absence.
Et vous n’en dites pas plus !
Parce que cela relève de ma vie privée. Je ne parle pas de ma fille ou de ma femme, mais je ne les cache pas non plus. Si nous avons envie de nous balader dans Haguenau, nous le faisons.
Vous êtes devenu père il y a peu de temps, à votre âge, c’est un atout ?
En tous les cas, cela m’a changé. On dit que les femmes aspirent à devenir mère un jour et je ne savais pas si c’était le cas pour les hommes, mais je vous le dis, je me sens mieux homme et père. C’est très riche.
Avez-vous le sentiment d’être un meilleur
être humain ?
Je comprends mieux certaines situations, mais je ne suis pas un donneur de leçon, les vies privées et familiales sont compliquées de nos jours. Finalement, après deux mandats, je suis peut-être un bon « maire de famille ».