Avant de devenir journaliste, vous avez passé toute votre enfance et votre adolescence à Haguenau. Quels sont les souvenirs qui vous reviennent ?
Mon père était prof, nous avons habité Grand-rue et Rue des fourmis, j’allais à l’école maternelle Rue des roses. La maîtresse avait dit à ma maman que j’avais un sentiment de supériorité, car tout le monde parlait alsacien et moi français. Mon père, qui était vosgien, avait imaginé que j’apprendrais l’alsacien au milieu des autres, mais il est vrai que l’on était encouragé à parler français. Après c’est classique, j’ai fait mes études à Strasbourg, mes premières piges à Paris et je suis parti à New York. À mon retour, j’ai été engagé à FR3. Je concocte depuis très longtemps un roman qui se nommera Rue des Fourmis et qui se déroulera exclusivement à Haguenau. Je me souviens du maire Frédéric North qui pleurait un soir d’élection perdue dans la salle de la douane, il disait toujours: « Haguenau est une grande petite ville » et ensuite André Traband a dit le contraire : « c’est une petite grande ville » !
Et aujourd’hui ?
Justement, en venant dans vos nouveaux locaux, j’ai écrit ceci :
Dans le Haguenau de mon enfance les enfants étaient souriants, les vieux marchaient vite, il n’y avait pas de zone piétonne avec des glaciers dégoulinants. Je me souviens du marchand de charbon et de sa charrette tirée par un gros cheval, des litres de lait en bouteille de verre livrés à domicile et le marchand de glace qui n’avait que quatre parfums, vanille, fraise, chocolat et pistache, cornet à une boule ou à deux boules. Sur les deux boules, on pouvait en mettre une troisième. Mon père avait une 2 CV grise immatriculée 701 DS 67, avec un coffre rond à l’arrière et les portes qui s’ouvraient à l’envers. Le premier feu rouge a été installé devant le magasin Sichel, à l’angle de la Grand-rue et de la clinique Sainte-Odile, c’était en 1969, j’avais pris une photo pour les DNA. Le matin, je me réveillais très tôt pour lire le journal du voisin.
Vous êtes nostalgique de votre enfance ?
Oh oui. Quand mes parents sont repartis vivre à Wissembourg en 1972, je revenais constamment voir la Rue des fourmis. Je me souviens que l’on avait créé un ciné-club qui s’appelait Le cyclope, et l’on passait des films de Godard. J’avais même eu mon CAP de projectionniste quand j’étais au lycée. Je me souviens qu’à Haguenau tout le monde se connaissait, que la Fête du houblon était le grand moment. Ce qui était génial, c’est que tout le monde venait dormir à la maison, le voisin avait réparé le bus des Hongrois qui était tombé en panne, c’était à la bonne franquette.
On fait un grand saut dans le temps pour arriver en 2020. Parlez-nous des chroniques que vous avez écrites lors du confinement.
C’était bien la première fois de ma vie que je dormais plus d’une semaine dans le même lit, moi qui faisais 250 missions par an pour le Parlement Européen. Tout d’un coup, j’étais obligé de rester à la maison. Je me suis dit que j’allais faire un journal de bord, simplement en regardant par la fenêtre. Tous les soirs après les applaudissements de 20 heures, je faisais un grand speech sur le confinement dans la littérature ; j’ai commencé par Robinson Crusoé. Les gens m’en parlent encore. Ils me laissaient des messages à la boulangerie et je faisais des recherches pour en parler le soir à mon balcon. Je pouvais raconter une dizaine d’anecdotes par jour, simplement en observant les voisins. Donc, j’ai fait un premier volume, Le chat du 28 prend le soleil, où j’ai écrit des petites histoires de trois ou quatre lignes, c’est un exercice de style difficile, car faire court prend du temps. Tout d’un coup, il y a eu le reconfinement. Alors, pour le volume 2, Le chat du 28 veut pas mourir, je suis parti de la lecture des journaux et l’écoute de la radio pour faire une analyse de la situation basée sur des faits précis ou sur la détresse des gens. Et puis il y a eu le couvre-feu, là j’ai écrit le tome 3, Le chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. Je me suis basé sur l’orgie dont parle Flaubert quand il s’est enfermé pour écrire Madame Bovary, son orgie de littérature. C’est une petite référence, une coquetterie, car je travaille beaucoup sur Flaubert. Pour ce volume très narratif, il n’y a pas une once de psychologie, ce ne sont que des faits et c’est très triste parce que, à la fin, on meurt. C’est écrit comme si c’était la trame du scénario d’un film ou d’un téléfilm.
Revenons sur votre passion pour Flaubert. Vous préparez la sortie d’un livre ?
Oui. Mesdames Bovary. Depuis l’âge de 20 ans, je collectionne toutes les traductions et les couvertures de Madame Bovary, j’en ai cinq- cents. Au début du confinement je me suis dit que j’allais relire le livre en continu, hyper lentement pour le savourer. J’ai fait une bonne nuit de douze heures, je me suis bien installé avec un peu de nourriture. Toutes les deux heures, je faisais une pause de cinq minutes et je recommençais. J’ai lu Madame Bovary en 57 heures. J’aime bien ce genre de défi rigolo.
Vous avez fait tellement de choses dans votre vie, même un marathon (record à 3h38), racontez-moi un autre truc un peu fou !
À l’âge de neuf ans, j’ai écrit 100 lettres à… Ambroise Perrin, 1 Rue des fourmis, Buenos Aires, Mexico, Paris, en fait les cent capitales dans le monde. Je les ai toutes postées avec au dos l’expéditeur, Ambroise Perrin, 1 Rue des fourmis 67500 Haguenau France. Sur les 100, 57 sont revenues, avec des tas de tampons écrits dans toutes les langues. En 1962, ce truc a fait le tour du monde. Un jour je ferai une expo avec ça, il me faut juste du temps.
Avez-vous le sentiment d’avoir couru après le temps, justement ?
Déjà bébé, je ne dormais pas et je ne pleurais pas. Et plus tard, j’ai lu sous les draps avec une lampe de poche. J’ai toujours très peu dormi. Je me souviens d’une phrase de ma maman qui me disait « tu mourras jeune », et je lui répondais « Oui, mais j’aurai vécu longtemps ».