Les Scènes du Nord-Alsace ont décidé de s’arrêter là. La raison officielle : pour innover, travailler sur d’autres projets, se concentrer sur leur mission principale, le soutien à la création contemporaine pour les compagnies du territoire. Pour en être certains, nous avons posé la question à Denis Woelffel, Directeur de la MAC de Bischwiller.
«Nous avons fait ce bout de chemin, au nord de Strasbourg où cela était moins évident, et Décalages a atteint ses objectifs. Il n’y a pas de souci financier, nous sommes très heureux d’avoir fait vivre Décalages pendant 10 ans, mais le festival a aussi ses limites : il est étalé sur 15 jours dans 6 lieux en plein mois de janvier et non sur deux ou trois jours dans un seul lieu comme cela se fait principalement. Nous avons choisi de nous réorienter vers l’accompagnement de compagnies de la région. Il s’agit d’accompagnements à la création sous forme numéraires, mais aussi sous forme d’actions culturelles que l’on mettra en place dans les différentes salles», explique le directeur de la MAC de Bischwiller (et futur directeur de l’Espace Rohan à Saverne). En fait, les scènes reviennent sur leur mission principale, en sachant que l’accompagnement sera plus fort en restant « groupé », car, même si Décalages s’arrête, les salles d’Alsace du Nord vont continuer à travailler ensemble et programmer des spectacles décalés.
Un autre regard sur l’écriture scénique contemporaine
Pour la dernière fois, comme depuis la création, le focus est mis sur la création contemporaine, la mise en avant de l’écriture du réel : le festival Décalages propose des spectacles improbables et inattendus qui déforment les conventions de l’écriture scénique et visent à susciter auprès du public le débat, la controverse voire la dispute, une programmation de spectacles pluridisciplinaires offrant aux publics des six Relais Culturels un autre regard sur l’écriture scénique contemporaine. Dans ce cadre chaque lieu a programmé une œuvre proposée dans sa saison.
La programmation
La programmation est formidable, avec le regard désabusé et inquiet sur le monde d’aujourd’hui. La tête d’affiche sera l’humoriste de l’année 2018, Blanche Gardin, mais « Bonne nuit Blanche » affiche complet depuis bien longtemps. Dans la même veine, mais beaucoup plus rayonnant, Léopoldine HH viendra à l’Espace Rohan de Saverne : championne du grand écart, finaliste à la fois de la Nouvelle Star en 2014 et Prix Georges Moustaki en 2017, l’Alsacienne Léopoldine HH propose une musique qui passe de l’épure intimiste à des orchestrations plus dansantes et parfois électroniques. Poétique et barrée, elle s’accapare les mots des auteurs qu’elle aime. Son album « Blumen im Topf » est un ovni furieusement inclassable.
Autre choix possible, une symphonie pour un massacre autour du spectacle Le 20 novembre : Le 20 novembre 2006, dans la ville d’Emsdetten en Allemagne, Sebastian Bosse, 18 ans, pénètre armé dans son ancien lycée pour y faire feu sur ses anciens camarades et professeurs. Chronique d’un suicide programmé, ce monologue a été écrit à partir du journal intime de l’adolescent. Lars Norén s’interroge sur les raisons d’un tel choix, sur le processus d’isolation qui entraîne de tels actes. Afin de faire résonner le texte, Lena Paugam a pris le parti de créer la pièce au plus près d’élèves et au sein même de salles de classe, ce sera le cas à Wissembourg. Elle trouve un écho particulier, immédiat, dans les barbaries commises récemment par d’autres perdants de nos sociétés.
Garden-Party, au Théâtre de Haguenau:
La France va mal, la France s’écroule, la France a perdu de sa dignité, ses valeurs et ses vertus tombent en ruine, le repli sur soi et l’égoïsme gagnent du terrain, le désespoir a envahi toutes les âmes… Toutes ? Non, car une caste résiste encore et toujours à la morosité déprimante: l’Aristocratie ! En ces temps de crise financière, morale, politique, cette caste ne dit rien et ne se fait pas entendre… Chez elle, la discrétion est plus qu’une valeur, c’est un devoir. Elle vit en autarcie reproduisant un schéma social et des valeurs qui lui sont propres, pratiquant l’homogamie, la valse et le golf. Cette élite dans l’élite est complètement déconnectée de la réalité sociale actuelle. Ce spectacle est une farce féroce et grotesque.
Carte sur table, à la Saline de Soultz-Sous-Forêts, est la rencontre de trois voix, trois chanteuses et musiciennes aux univers différents. Trois amies aussi, qui décident, un soir dans leur cuisine, de chanter en chœur et de créer une magie du quotidien. Avec ce trio, tout objet devient prétexte à musique. Des cartes, des verres, une table, un fer à repasser, un bout de carrelage, chaque objet est choisi pour sa sonorité et orchestré avec soin. Leur répertoire, composé de chansons populaires du monde, est pimenté par l’originalité des arrangements.
Ou encore, I Kiss You Ou l’hétéroglossie du bilinguisme, mais la aussi, pour cette mise en scène de Laurent Crovella, c’est complet à la Castine de Reichshoffen.
Pour appuyer la dynamique d’accessibilité aux propositions contemporaines, chaque scène du Nord Alsace propose, dans la mesure de ses moyens, des actions de sensibilisation qui visent à favoriser la rencontre entre les artistes et/ou les esthétiques innovantes et les publics. Lecture, atelier et performance sont autant d’actions qui permettent, en amont ou en aval du festival, la rencontre d’un public avec un spectacle de Décalages. Pour résumer, voici une dernière édition qui est aussi un enterrement en grande pompe.
Les tarifs sont attractifs, à partir de 3 spectacles, avec la formule d’abonnement, le coût de chaque spectacle est de 10€ ! Plus d’infos : www.scenes-du-nord.fr