Avec Intermezzo, Sally Rooney s’aventure dans une œuvre plus exigeante, marquée par une prose dense. La musicalité de son écriture, brute et sans compromis, peut représenter un véritable défi pour le lecteur. Pourtant, loin d’être inaccessible, ce roman révèle une profondeur qui touche au cœur. Rooney y orchestre une partition où chaque mot, chaque silence, contribue à une lecture riche et intense.
L’histoire s’ouvre sur la mort d’un père, un événement à la fois banal et bouleversant. Peter et Ivan, deux frères que tout oppose, se retrouvent plongés dans le tourment du deuil et des questionnements existentiels. Peter, brillant avocat, est englué dans ses contradictions amoureuses, tandis qu’Ivan, prodige des échecs, semble perdu dans l’incertitude de sa propre quête de sens. Rooney dissèque avec une précision presque chirurgicale leurs trajectoires et leur relation fraternelle, à la fois marquée par une rivalité latente et un amour non exprimé.
Le décès du père agit comme un catalyseur : pour Peter, il fait vaciller des certitudes autrefois inébranlables ; pour Ivan, il déclenche un désir d’indépendance farouche. Rooney, avec une douceur presque douloureuse, parvient à capturer les failles des personnages dans une danse subtile où chaque geste a un poids, où chaque silence résonne autant que les mots prononcés. Intermezzo ne cherche pas à surprendre par des rebondissements spectaculaires, mais préfère prendre le temps de s’attarder sur les nuances des relations humaines et la souffrance qui les traverse. Le titre, évoquant un moment suspendu entre deux actes, traduit parfaitement l’essence du roman : un instant fragile où tout peut basculer. Rooney signe ainsi une œuvre poignante et délicate, où les personnages, et les lecteurs, se confrontent à leur humanité la plus profonde.