mardi 3 décembre 2024

La lavande en partage

Il me suffit de voir un champ de lavande, que ce soit dans la Drôme, les Alpes de Haute-Provence, le Gard ou le Lubéron, pour sentir une impulsion de joie. J’ai alors l’impression de posséder un morceau d’été et de vie douce.

J’aime tout de la lavande, sa forme, sa couleur, son parfum, son pouvoir apaisant. 

Je me souviens du plateau de Valensole dans les Alpes-de-Haute-Provence, de cette route qui fait des méandres entre les champs de blé et de lavande à perte de vue. Les couleurs blondes et violettes s’y enlacent comme des dominos. J’espère toujours arriver à temps : avant que les lavandes ne soient coupées. Il faut avoir vu ces champs aux flancs couverts de violet, voir la teinte s’obscurcir le soir, et tirer vers l’indigo et l’anthracite.  La couleur des champs change selon l’heure et selon l’endroit d’où le regard se pose sur eux : sillons arrondis et dodus vus de face, croupes en courbes voluptueuses, si harmonieuses que le regard ne cesse de s’en repaître. Vues de côté, les touffes sont hérissées et les épis se dressent avec une droiture hiératique. Dans ces étendues violettes foisonne parfois une blondeur subversive : celle de la folle avoine.

Le long des chemins fleurissent l’aneth et la chicorée sauvage, tandis que les distilleries de lavande tournent à fond et parfument le firmament. Les alambics ne connaissent plus de répit. La vapeur d’eau produite par un générateur traverse les fleurs de lavande et entraîne avec elle les molécules aromatiques, qui sont ensuite condensées en passant dans un serpentin refroidi. La vapeur d’eau se condense en un liquide, qui se sépare en deux phases : l’huile essentielle, insoluble dans l’eau, et l’hydrolat, également appelé eau florale. Les deux phases sont recueillies dans un récipient appelé essencier. L’huile essentielle, plus légère que l’eau, y surnagera au-dessus de l’hydrolat et sera récupérée. La magie séculaire opère toujours et encore.

Je me souviens de la Fête de la lavande à Valensole. C’était un 15 juillet, en 2002. Elle commençait par une messe en provençal à 9h30. Je suis arrivée par la route de Riez. Valensole, bourg des Alpes de Haute-Provence, était enveloppée de parfums de lavande, de miel, de savon et de saucisses grillées. Toute la petite ville était sur son trente-et-un et proposait des spécialités. Je me souviens de petits gâteaux secs aux amandes qui rappellent les cantuccini d’Italie. Et surtout un pain d’épice moelleux, fait à l’ancienne, dont un jeune homme roux m’a coupé une tranche. Il était strié de filets humides, il sentait bon la cannelle et la cardamome. C’était un plaisir de le manger ainsi tout en marchant entre les stands des saveurs du Sud. 

Il y avait dans une petite chapelle une exposition sur la culture du lavandin. J’y ai appris que « baïassières » ou « badassières » est le nom local donné aux lavanderaies sauvages, que les champs ne sont pas toujours cultivés en lignes, mais parfois en carrés, que « voulame » est le nom provençal pour désigner la faucille, que « lavandaiaïre » était le nom provençal du début du 20e siècle pour désigner le coupeur de lavande.

J’ai quitté Valensole pour le village de Puimoisson. Je voulais boire un café sur la place centrale. Des joueurs de boules y faisaient résonner leurs voix. L’orage a éclaté. Je me suis rabattue au restaurant La Michade.  Nous étions quelques-uns, rapatriés autour du zinc. C’était très chamarré, très coloré, d’entendre, de voir la verve méridionale qui s’exprimait en mouvements impétueux. Le patron est arrivé, c’était un Alsacien du Sundgau, Jean-Luc Bickel, né à Mulhouse en 1953, qui avait grandi à Hirsingue, dans une ferme, avec ses parents et ses grands-parents, qui a passé le bac à Saint-Louis et puis a travaillé durant vingt ans en Suisse, dans l’industrie pharmaceutique. 

Pendant que l’eau de pluie coulait au-dehors en un ruisseau large de deux mètres, Jean-Luc m’a raconté qu’il était « un fada de foot ». Il avait eu des responsabilités au FCM, à l’époque d’André Goerig, d’Eugène Battmann, de Didier Notheaux et de Raymond Domenech. En ce temps-là il sortait beaucoup. Il connaissait tous les édiles d’Alsace.

« Je voulais changer de vie, m’a-t-il dit. J’avais entendu parler du village de Puimoisson par Edmond Brunet, qui était professeur de sport au collège d’Altkirch. Cet homme était de Puimoisson et il était venu à Altkirch avec la 1re armée de libération américaine. Lorsqu’il a quitté Altkirch pour sa retraite à Puimoisson, il m’a dit : Viens me voir dans mon village. C’est ce que j’ai fait en 1975. J’ai acheté cet hôtel-restaurant. La vie est faite de rencontres inattendues. »

Qu’est devenu Jean-Luc Bickel ? J’ai mené mon enquête et l’ai retrouvé en cet été 2024. Il vit toujours à Puimoisson, au pays de la lavande. Il a vendu son restaurant qui existe toujours et qui s’appelle désormais Auberge Côté soleil. Vous avez son bonjour et il vous souhaite un bel été.  

 

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