Qu’est-ce qui vous lie à Frœschwiller et son histoire ?
Denis Studer : Ma famille, mon père sont de Frœschwiller. Moi je suis né dans les Vosges, et après le service militaire, je suis revenu et j’ai repris la maison de ma grand-mère, 102 ans qu’elle est dans la famille ! Je tiens à mon village, à son vécu, je me suis toujours intéressé à ce qui se passe localement, culturellement, savoir où je suis, qu’est-ce qui s’y est passé, et le transmettre.
Evelyne Haenel : Il est indéracinable ! Il m’a embarquée, cela fait douze ans que je viens dans ce village, je suis d’Alsace bossue. Nous étions veufs et nous nous sommes rapprochés. Le travail de mémoire, j’y tiens, et comme j’ai été professeur des écoles, ce qui m’intéresse c’est de raccrocher les enfants, et donc les parents. Dans les activités proposées par l’association, je fais aussi la version allemande, comme la visite guidée tous les étés sur le cheminement entre les deux églises qu’on a tracé avec les écoliers.
Que propose l’association ?
DS : Depuis que j’ai pris la présidence en 2021, j’ai cherché des expositions un peu exceptionnelles ou inédites, en lien avec la paix, la réconciliation, l’amitié franco-allemande. La pre-mière, c’était Franz Stock. Il a été aumônier des Allemands à Paris, puis pendant la guerre, il accompagnait tous les condamnés à mort au peloton d’exécution, Manouchian par exemple. L’esplanade du Mont Valérien porte son nom, le nom d’un Allemand, c’est très peu connu ! C’était en 2023, une exposition qui a fait date et marqué beaucoup de monde. Ensuite, en janvier 2024, il y a eu la semaine franco-allemande De Gaulle-Adenauer, puis une exposition sur Robert Schuman à l’été.
En ce 80e anniversaire de la Libération, vous abordez largement le camp de Mauthausen. Comment êtes-vous arrivé à ce choix ?
DS : Le déclic, ça a été un jeune du village qui était copain avec mon père, je savais qu’il avait dû fuir en 1941. L’histoire que je connaissais comme gamin, c’est qu’il y avait un mausolée sur la côte de Woerth à Frœschwiller et des inscriptions gaullistes y ont été retrouvées. Les nazis, quand ils ne trouvaient pas de responsable, en désignaient un, comme Aloise Fischer. L’instituteur l’a su, il lui a dit sauve-toi. Il avait 17 ans et on l’a retrouvé à Auch dans le Gers. Je savais aussi qu’il était mort à Mauthausen. Dans le grenier, on avait un tableau avec des nœuds scouts, et mon père me disait, c’est lui qui l’a fait.
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Et le hasard vous conduit à Mauthausen…
DS : Il y a quelques années, avec Evelyne, on a fait du vélo en Autriche le long du Danube romantique, et je vois un panneau Mauthausen, je dis stop, je dois y aller. On a visité le camp, les fours crématoires, la salle des noms, et consulté deux registres. En tournant les pages, j’ai retrouvé son nom, Fischer Aloise. J’ai mis deux heures à m’en remettre, j’étais mal, on n’a pas parlé. Le 6 mars, c’est le 80e anniversaire de son décès, et dans ce cadre-là j’ai émis l’idée de faire quelque chose.
« On a 500 photos du camp, de la Libération, et aussi des Américains, c’est pour ça qu’elle est unique au niveau quantité et panel. »
Que sait-on sur le destin d’Aloise Fischer ?
DS : À l’automne, on était à Auch pour quatre jours de recherches aux archives. Aloise a beaucoup souffert, il était employé de bureau, il avait trois adresses, il a fait de la Résistance certainement, du scoutisme comme à Frœschwiller… À un moment donné, en novembre 43, l’étau s’était resserré sur les centres de Résistance du Gers, et il a décidé de fuir par l’Espagne pour rejoindre les Forces françaises libres. Le 1er janvier 1944, il a été pris à la frontière. Ici on avait les Malgré-nous, là-bas il cherchait à fuir le STO… De là, il est transféré à la Gestapo, à Compiègne, puis à Mauthausen par le convoi du 22 mars 1944. Arrivé le 24 mars, il subit tout ce qu’il y avait là-bas, puis il est transféré à Gussen, pour travailler dans les carrières, puis au Revier, l’infirmerie des camps, où il est employé de bureau puisqu’il parlait allemand. Il y reste pratiquement six mois jusqu’à sa mort.
Que contient l’exposition sur Mauthausen visible du 28 février au 9 mars ?
DS : La part des camps de Mauthausen est totalement inédite, et pratiquement unique parce que c’est le stock de photos d’un camp de concentration ! À Mauthausen, beaucoup de photos ont été prises par les nazis, mais ils ont voulu détruire tout ce qui était compromettant avant la Libération. Or il y avait une forte communauté espagnole, dont certains travaillaient au service photo. Très tôt, ils ont compris, ont fait le double des négatifs et les ont sortis du camp. C’est d’ailleurs le film de Netflix Le photographe de Mauthausen. On a 500 photos du camp, de la Libération, et aussi des Américains, c’est pour ça qu’elle est unique au niveau quantité et panel. Elle a été créée par les amicales de Mauthausen française et espagnole, en lien avec l’État autrichien.
Le vice-président de l’Amicale de Mauthausen, Patrice Lafaurie, parlera aussi d’autres Alsaciens lors de sa conférence le 1er mars à 14h…
DS : C’est le gendre d’un déporté de Mauthausen, il vient de Nancy et essaie toujours de trouver des locaux. J’ai fait des recherches, et j’en ai trouvés de Woerth, Dieffenbach, Windstein, Dambach, un autre né à Niedersteinbach. Lui est parti jeune en Moselle, il a été maire d’Amnéville avant et après la guerre : il s’en est sorti. J’ai découvert aussi que quand le Struthof a été évacué, les nazis ont ramené tout le monde à Dachau, puis 150 prisonniers à Mauthausen. La moitié est décédée.
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Le 8 mars, les écoliers se joignent aux commémorations, de quelle manière ?
EH : Avec leur maîtresse Nadia Bastian, ils travaillent sur la valise-mémoire de Francine Meyrand. Elle est psychologue et artiste, et a fait un travail sur 300 à 400 victimes de génocides. Les enfants découvrent une vieille valise avec des affaires personnelles d’Aloise, tout ce qu’on a pu trouver dans sa famille—qui sera présente—, ou chez les scouts, comme le tableau. Il y aura sept saynètes avec en toile de fond photos et musique. La journée commence ainsi à la salle polyvalente, puis nous irons devant l’école-mairie pour la pose du Stolperstein avec le soutien de Christophe Woerhle. Les Stolpersteine ne sont pas uniquement en souvenir des juifs, mais de toutes les victimes du nazisme. Les enfants chanteront Nuit et brouillard de Jean Ferrat, parce qu’Aloise Fischer a été classé dans les Nacht und Nebel.
Ces histoires sont très personnelles et universelles à la fois, c’est ce que vous voulez transmettre ?
EH : Oui, un Breton, ça ne serait pas pareil. De local cela devient général.
DS : Lors de l’exposition sur Franz Stock, la famille d’un jeune de Mertzwiller exécuté se souvenait de la lettre reçue par leur mère l’informant de sa mort… Cela nous marque, nous dans notre action, d’en parler quand il y a du monde autour, et que vous arrivez à toucher au cœur.