Quand on regarde la télé, on n’ose plus rien faire, m’a dit ma voisine l’autre jour à la caisse de notre librairie de quartier. J’ai répondu que j’étais d’accord, que si on y prête trop attention on ne boit plus d’eau du robinet car elle est polluée, plus d’eau minérale qui n’est plus minérale car dépolluée, on ne passe plus sur les ponts car ils sont délabrés, on ne mange plus de viande, c’est bourré de saloperies et mauvais pour la planète, on ne loue plus d’appartement les arnaques prolifèrent, on ne répond plus au téléphone à son banquier pas sûr que ce soit lui, on ne paye plus en ligne c’est un faux site, on en vient même à douter que c’est bien nous qui avons passé la commande de ce magnifique pull moche de Noël. Les émissions sérieuses du Service public nous le montrent, le danger en partout. Même ma voisine est peut-être une IA. Alors on fait quoi ?
On ne regarde plus la télé, on se désinscrit des réseaux sociaux ? Bonne idée. On faisait comment avant ? C’était quoi une journée dans les années 70/80 ? On se promenait dans les rues ou à la campagne, on n’avait pas la main sur notre téléphone. On avait des messages sur notre répondeur, en rentrant seulement. Entre-temps, on avait eu le temps de réfléchir à nos vies, on avait eu l’envie de voir du monde, on avait respiré, puis on lisait des romans. On s’évadait et on se confrontait à de vraies pensées, c’était très structurant à tout âge. Aujourd’hui, les livres ont la même fonction, on y apprend encore et encore la vie, la beauté, tous les sentiments, la joie, les autres ; en lisant, même des livres exigeants, on a envie d’oser, d’aller de l’avant, de partager. Je me demande si nos existences ne nous enfoncent pas peu à peu dans le silence. J’ai la réponse, m’a dit ma voisine. Alors, à Noël, je vais faire comme d’habitude, je vais offrir des romans, c’est la plus belle façon d’éteindre la télé et les réseaux, de résister à la saisissante vacuité de notre époque, et d’être.