Quelle est l’histoire de votre ferme familiale ?
Mes deux parents étaient issus du monde agricole, et quand ils se sont mariés, ils ont repris l’exploitation de mes grands-parents maternels. Ils faisaient plutôt de l’élevage, des cochons, des volailles, et un peu de légumes, de la vigne, du houblon… Puis en 1996 j’ai repris et diversifié l’activité, avec la pomme, la pomme de terre, les céréales, j’ai arrêté le houblon. Il y a deux ans, ma compagne avait envie de changer de vie et d’ouvrir un magasin de vente à la ferme. C’est un projet que j’ai soutenu, et qui m’a permis de développer les fruits à noyau, la rhubarbe, et depuis cette année, la fraise.
La pomme est votre culture historique, mais qu’en est-il des pêches et abricots, ces choix sont-ils liés au climat ?
La pomme est la culture majoritaire en temps de travail et en chiffre d’affaires, mais j’ai 21 hectares tous fruits confondus. Les fruits à noyau, la cerise, la mirabelle, sont clairement dédiés à la vente à la ferme. Typiquement, les pêches et abricots sont des produits en développement, depuis une quinzaine d’années ils se plantent en surface réduite. Ils restent marginaux du fait du risque climatique comme les gelées de printemps. Mais on sent une forte demande du marché pour du local, et c’est l’essence même de Fruits et légumes d’Alsace (FLA). Les atouts, c’est récolter plus mûr que quand ça voyage. La fraise par exemple est récoltée à maturité et le lendemain au plus tard, elle est en magasin.
Le client alsacien est-il prêt à payer plus pour une meilleure qualité ?
C’est un vaste débat, mais sur l’asperge c’est clairement le cas. Sur tous les autres produits, on est convaincu que quand il y a de l’Alsace, le client est prêt à l’acheter. Mais dans quelle mesure est-il prêt à payer plus ? On a fait des tests avec des enseignes de grande distribution : même produit, même emballage, un issu de France, l’autre issu d’Alsace, on a vendu 70% d’Alsace et 30% de France. Partant du principe que l’Alsacien est chauvin et enclin à acheter plus local, tout le monde a à y gagner, y compris la grande distribution. Mais il faut toujours rester dans des marges raisonnables : si le producteur vend pour qu’il puisse en vivre et que la grande distribution rogne un peu, alors on y arrive.

Étiez-vous engagé par ailleurs avant de devenir président de l’IFLA ?
À Obernai, on a une station d’expérimentation en légumes et une autre en fruits, et j’en suis président depuis sept ans. J’ai toujours un mandat national au syndicat Fruits, une émanation de la FNSEA. Je suis aussi président de l’association qui gère les cahiers de charges en pommes. Et j’ai été adjoint dans ma commune, mais il faut que ce soit intéressant et que ça m’apporte quelque chose.
Quels sont vos objectifs en tant que président ?
Mon objectif reste le même que celui de la création de l’IFLA, c’est-à-dire augmenter le volume et la diversité des produits locaux, et faire en sorte que le consommateur sache ce qu’on produit en Alsace. Également être une espace dédié pour tous les acteurs de la filière, qu’ils puissent se mettre autour d’une table et discuter, de la stratégie de demain, des problèmes à régler. C’est l’objectif général, pour l’atteindre c’est plus complexe…
Concrètement, après un an de présidence, quelles sont vos réalisations ?
On a consulté tous les acteurs, la restauration hors domicile, les producteurs et toute la grande distribution qui reste un des acteurs majeurs de la vente—70 à 80% des fruits et légumes sont vendus dans leurs magasins, et toute la grande distribution sauf Colruyt est adhérente. On a soulevé les qualités et les inconvénients de chacun, et on a fait un séminaire fin janvier pour créer une piste future d’engagement de la filière. On a constaté de grosses lacunes, par exemple la visibilité marchait bien dans les magasins avec le logo FLA et les plateaux rouges, mais il y a un essoufflement lié à l’écologie sans carton, aux plateaux recyclables, ou au manque de personnel, à la routine aussi—c’est plus simple de se fournir à la centrale nationale. Et le consommateur même s’il y a de l’Alsace en rayon, ne le voit pas. L’idée est d’essayer de trouver des magasins exemplaires avec des chefs de rayons passionnés, qui pourraient devenir des magasins témoins et mettre en avant notre PLV (publicité sur le lieu de vente), montrer ce qu’on peut faire et tester, chiffrer. Puis nous travaillerons sur une charte d’engagements, autant chez les producteurs que dans la grande distribution, car certains ne jouent pas le jeu : ils profitent du local sans mettre les choses en œuvre. Une charte avec des objectifs, comme pour la restauration hors domicile par exemple, qui souhaite à terme passer de 25-30% à 50% de local.

Pour la saison à venir, on peut citer l’exemple de la tomate cerise alsacienne ?
Il y a deux ans, on a lancé une étude sur le potentiel des FLA, ceux qui manquent ou sont en trop, et il sort de cette enquête que la tomate cerise pouvait être mise en avant par sa fraîcheur, la création d’emplois éthiques, l’installation de jeunes, la diversité des cultures dans le paysage, etc. Trois producteurs se lancent dans la « Pépite d’Alsace », c’est une phase test, avec un emballage spécifique. Les stations de recherche nous aident aussi à améliorer la qualité, mais comme on est petits producteurs avec plein de cultures, on est forcément un peu moins techniques. En Alsace, on n’a pas de grosses structures comme les maraîchers nantais ou Rougeline, qu’on n’arrivera jamais à concurrencer. Mais si on part défaitiste et que tout repose sur le prix, alors on arrête les FLA.
Au quotidien, c’est donc surtout une question de communication ?
L’action courante, ce sont les filières regroupées en associations, pommes, asperges, choucroute, navets, etc., qui viennent vers nous et définissent leur stratégie de com. Et dans le cas d’une pression sur le marché liée par exemple à l’explosion de la production d’asperges quand il y a des coups de chaud, ou à trop de stock de pommes Natti, par des campagnes ou des communiqués, on réussit à doubler les volumes de vente. L’outil fonctionne, mais on a toujours ce gros souci sur la rémunération et la valorisation de nos produits. Clairement la grande distribution depuis l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat s’est lancée dans une guerre des prix et la production en souffre. Il y a eu l’arrêt d’une grosse exploitation maraîchère à Balgau, c’est un exemple de pression sur les prix. Moi dans l’idéal j’aimerais qu’on arrive à se dire, le consommateur demande les FLA, tous les acteurs sont là depuis la création de l’IFLA, de nouveaux producteurs nous rejoignent encore : si chacun est responsable et citoyen et que la grande distribution joue le jeu, on devrait trouver un fonctionnement plus équitable.