mercredi 3 juillet 2024
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Pierre et Thierry Wersinger – Un regard apaisé malgré tout

Pierre Wersinger a vécu l’incorporation de force en 1944, et son fils Thierry l’a partagée dans un livre paru en avril aux éditions du Signe, Pierre, Alsacien Malgré-tout. Avec un titre qui résume le point de vue de son père—bien obligé de s’adapter aux changements de nationalité—, Thierry rappelle aussi son choix de vie à lui. Né d’une mère anglaise, il habite les États-Unis depuis presque trente ans, avec sa femme américaine et ses huit enfants. Ce sont ces petits-enfants et même arrière-petits-enfants qui ont décidé Pierre à mettre sur papier son expérience de la guerre, que Thierry, désormais à la retraite du groupe Michelin, a publiée.

Votre père se laissait-il régulièrement aller à raconter ses souvenirs ?

Mon père a commencé à m’en parler quand j’avais 16 ans, comme on a tout juste trente ans d’écart, il me disait, il y a trente ans, voilà ce que j’ai fait… Dans le livre, je raconte que je m’en suis servi parce que je voulais partir en Irlande en stop et mes parents ne voulaient pas, alors j’ai dit à mon père : tu as fait un voyage autrement plus compliqué que moi ! Et ils m’ont laissé partir ! (rires) Puis quand il a été à la retraite, on lui a dit, tu as du temps, il faut que tu écrives tout ça. C’était une des heureuses surprises après son décès en 2017 quand j’ai trouvé des cahiers qu’il avait remplis. Il avait une petite écriture de médecin, lui qui était professeur d’anglais ! À mon avis, il a commencé à écrire à 80 ans à peu près…

Vous racontez en introduction que ce livre était d’abord destiné à la famille ?

Dans un premier temps, je l’ai mis en forme en me disant que ce serait pour la famille. À son décès, j’avais écrit une biographie et eu pas mal de retours, également d’amis qui m’ont dit que cela pouvait intéresser. Il est mort il y a sept ans, moi j’ai pris ma retraite il y a cinq ans, il y a eu le covid, j’ai commencé à taper les textes manuscrits et à faire des recherches dans des bouquins d’histoire d’Alsace pour le contexte. J’ai fait quelque chose qui soit cohérent, en supprimant les redites, des choses contradictoires à remettre dans l’ordre, en ajoutant une structure. C’est une contribution familiale, avec des anecdotes de mes sœurs, ma mère et mon oncle André, le petit frère de Pierre, qui est dépositaire des archives familiales. Moi j’avais les papiers militaires et officiels qui donnaient les dates. Il y a dix ans lors d’un de mes passages à Strasbourg, j’ai mis la caméra et l’ai fait parler, j’ai aussi trois ou quatre heures de vidéo. Je crois que je suis resté dans l’esprit de ce qu’aurait voulu mon père.

La famille à Traubach en 1929, au deuxième rang Pierre et ses parents. / ©Dr
Le récit commence comme un témoignage sur la vie quotidienne dans un village alsacien avant-guerre, avec son père Alphonse, sa mère Anna…

Il y a un petit background de la famille, très enracinée en Alsace avec plusieurs générations d’enseignants et une histoire compliquée compte-tenu des circonstances historiques. Quand on est alsacien, on ne déménage pas, mais mes arrière-grands-parents ont dû changer cinq fois de nationalité ! Les parents de mon père se sont rencontrés dans un camp d’internement pour Alsaciens dans le Midi, où ils se sont liés d’amitié avec Albert Schweitzer. Ça les a quand même marqués, la famille était assez significative d’une bonne partie de l’Alsace… Ils étaient plutôt pour le statu quo, mais l’État français payait le salaire du père instituteur, donc ils ont élevé mon père en parlant français, ce qui n’est pas commun… Toute son enfance, il a été très loyal envers la France, il réagissait bien à la propagande de l’époque. Le récit est assez typique de la vie d’un village… La partie la plus importante, c’est l’incorporation dans l’armée allemande et son évasion, mais avec les archives, il y avait une opportunité de regarder toute sa vie, pas seulement la partie spectaculaire des Malgré-nous.

Son sens de l’adaptation peut surprendre, c’est un sentiment plus profond que les tiraillements historiques habituellement décrits…

Comme je le dis, il aimait bien aller dans la jeunesse hitlérienne, c’était des boy-scouts pour lui. Les gens disaient, les Français nous ont encore une fois laissé tomber, maintenant on est allemand et on parle la même langue, il faut travailler avec ça. En tant que chrétiens, la famille n’était pas hostile à l’Allemagne, mais il y avait un gros problème avec le nazisme. J’ai essayé de préserver dans le texte la complexité de sa prise de conscience, ses options philosophiques et le fait que quand on lui a dit, tu es costaud, blond, les yeux bleus, tu ferais un bon leader, là il se disait non, ce n’est pas moi. Tout le monde veut être un grand héros, mais la vérité, c’est qu’il y en a assez peu. Les récits, la façon dont on se révèle aux yeux des gens—les Résistants par exemple, il y en avait beaucoup plus après la guerre qu’avant—, mon père critiquait cela, mais se critiquait aussi lui-même. Il disait, si on peut survivre sans se compromettre totalement, tant mieux. C’est son expérience et un contexte.

La carte des jeunesses hitlériennes de Pierre. / ©Dr
C’est aussi le genre d’histoire qu’on aimerait trouver dans les livres d’Histoire, pour sa leçon de résilience et son optimisme…

Oui, ça aussi. Quand on parle de période dramatique, il y a beaucoup de victimes et une tendance morbide à se complaire. Je pense que mon père a souffert, mais je voulais montrer qu’en dépit de ça, certains se prennent par la main et gardent un certain optimisme, et arrivent à se dire que tout n’a pas été négatif. On a tous plus ou moins de talent, et on fait des choix, on est libre dans un cadre, c’est ce que je voulais montrer. Un point important, c’est que je ne prétends pas que c’est la seule lecture. Pour quelqu’un qui veut un point de vue un peu plus apaisé, c’est un témoignage intéressant.

D’où vient le titre Alsacien Malgré-tout ?

Mon père était « critique » des Malgré-nous, il trouvait que c’était un peu réducteur, alors que son beau-frère, le Général Bailliard, a lancé le Mémorial de Schirmeck ! Ils s’entendaient très bien, et ça montre la différence de point de vue. Donc la mouvance Malgré-nous est illustrée, et Malgré-tout parce que l’Alsace ne l’a pas quittée. C’est une manière d’illustrer cette complexité de l’Alsacien, et d’affirmer un certain attachement, lui qui a eu une révélation alsacienne à partir du moment où il a commencé à exprimer son identité. Dans les années 70, on pouvait dire plus de choses, il a un peu plus assumé un engagement alsacien de dire, on ne peut pas laisser tomber une culture, un mode de vie. Il abordait les gens en alsacien pour les mettre un peu mal à l’aise, surtout ceux qui avaient honte de le parler. Il forçait un peu ça et avait un sacré sens de l’humour qui pouvait toucher le cynisme parfois, mais toujours en respectant les gens.

Pierre (à droite) lors de la cérémonie du « Vereidigung ». / ©Dr
N’était-il pas Alsacien avant tout ?

Ça peut revenir à ça, mais le fait qu’il a épousé une Anglaise, a été prof d’anglais et totalement anglophile, ce n’est pas Alsacien seulement, il y a une volonté d’ouverture.

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