L’ARS (Agence Régionale de Santé) et les médecins libéraux (les généralistes et les spécialistes) ont décidé de travailler ensemble sur ce projet expérimental qui s’appuie sur un constat devenu insupportable : les services d’urgence sont débordés, car plus de 60 % de personnes qui s’y rendent n’ont appelé personne avant. En 2016, les urgences ont recensé plus de 20 millions de passages dans leurs services en France, un chiffre qui a doublé en 20 ans, et le temps de passage moyen dans les urgences hospitalières du Grand Est est actuellement de 3h34, ce qui est beaucoup. Pourtant, la majorité des cas ne relève pas forcément des urgences (30% environ pourraient être prises en charge par un médecin).
Une fièvre élevée, des douleurs qui ne passent pas, un nourrisson qui n’est pas bien, le patient est souvent démuni face à ses urgences ressenties ; son premier réflexe est légitime, il se dirige vers les services d’urgence, sans appeler au préalable son médecin traitant, pourtant bien placé pour l’orienter au mieux et lui proposer une alternative. À noter que le médecin libéral consacre 12 % de son temps de travail aux Soins Non Programmés (SNP) de jour, ce qui lui pose des problèmes d’organisation.
Le réflexe 116 117
Face à ce constat, l’Agence Régionale de Santé et l’Union Régionale des Professionnels de Santé Médecins Libéraux (URPS ML) du Grand Est ont recherché des solutions qui permettraient de désengorger les services d’urgence et d’optimiser, fluidifier et coordonner les soins non programmés dans l’intérêt de tous et « Un Médecin, 116 117 » est né. Avant de vous rendre aux urgences, appelez votre médecin et s’il n’est pas libre, appelez le 116 117. C’est un peu la même chose que le 15, mais il y a une très grande différence, au bout du 116 117 il y a un médecin, qui, après un dialogue avec le patient, pose un prédiagnostic. Si le patient a besoin de voir un médecin, il sera géolocalisé, on lui trouvera un médecin capable de le recevoir rapidement et sans rendez-vous, car tous les médecins volontaires disponibles à ce moment-là auront reçu le message. Si c’est réellement une urgence, le médecin lui enverra le Samu.
Le Bas-Rhin, zone d’expérimentation
Ce nouveau service devrait, si l’expérience est réussie, faire des petits. Une extension aux départements voisins, puis au Grand Est est envisagée. Pour la France entière, cela passera par une décision politique. Pour notre zone expérimentale et pour commencer, le 116 117 fonctionne de 8h à 20h du lundi au vendredi, où 90% des sollicitations se font. L’idée est séduisante, pour les villes comme Haguenau ou Wissembourg, mais aussi pour ceux qui appellent des plus petites villes du département.
Entretien avec Dr Guilaine Kieffer-Desgrippes
La présidente des médecins libéraux du Grand Est (URPS-ML) travaille sur le projet depuis le début.
Comment fonctionne « Un Médecin 116 117 » ?
En cas d’urgence ressentie, pendant les journées de la semaine, lorsque son médecin traitant n’est pas disponible, le patient est invité à appeler ce numéro. Il entre alors en contact avec un médecin régulateur libéral, celui-ci évalue l’urgence, établit un prédiagnostic et, si besoin, recherche un médecin disponible. Il s’appuie sur une application dédiée aux professionnels de santé et envoie une notification sur les mobiles des médecins du secteur abonnés à la plate-forme. Dès qu’un médecin accepte de prendre en charge le patient, le médecin régulateur libéral fixe un rendez-vous selon les disponibilités. La consultation aura lieu en priorité au cabinet du médecin ayant accepté le rendez-vous, ou au domicile du patient si l’état de ce dernier ne lui permet pas de se déplacer. Le médecin traitant reste néanmoins au centre du parcours. S’il est adhérent à la plate-forme, il sera tenu informé du diagnostic, des prescriptions et des examens demandés par ses confrères.
Quels sont les objectifs ?
Les patients bénéficieront d’une solution alternative aux services d’urgence, mieux adaptée à leurs besoins. Les médecins pourront quant à eux intégrer plus facilement les SNP de jour dans leur pratique quotidienne, tout en conservant une totale liberté dans leur exercice. Enfin, les services d’urgences pourront assurer leur véritable mission. Plus personne ne veut voir des patients âgés qui attendent des heures sur un brancard !
C’est une prise en charge mieux adaptée ?
Les urgences vitales sont immédiatement détectées et prises en charge sans délai par les services du 15. Puis, pour environ 40% des appels, le régulateur apporte une solution par des conseils ou par l’indication d’un professionnel médical vers lequel s’orienter. Le patient sait rapidement quoi faire, vers qui il doit s’orienter et, le cas échéant, l’heure et le lieu de son rendez-vous avec un médecin de son secteur. Cette réponse graduée peut lui éviter de se déplacer aux urgences, il accède facilement et rapidement à une consultation, dans un cadre plus proche, plus familier, plus confortable que celui des urgences. L’appel est gratuit et la consultation, au cabinet ou à domicile, est facturée au tarif habituel.
Côté Pro, comment fonctionne le dispositif ?
Les médecins libéraux volontaires s’inscrivent sur la plate-forme Un Médecin 116 117 et équipent leur mobile d’une application dédiée. Lorsque le régulateur a besoin d’une consultation, il envoie une notification à tous les médecins du secteur concerné et le premier qui répond positivement à cet appel propose un rendez-vous dans les minutes ou les heures qui suivent, selon la nécessité. Il n’y a aucune obligation de prise en charge, aucune participation minimale ou créneau horaire imposé. Il décide au fil de l’eau quels SNP il accepte d’assurer, selon sa disponibilité du moment, son envie, la pathologie… Initiatrice de cette plate-forme, l’Union régionale des professionnels de santé – médecins libéraux du Grand Est encourage les médecins libéraux à adhérer, afin que le service puisse couvrir tous les secteurs.
Comment les médecins ont accueilli le 116 117 ?
Plutôt bien. Dès lors que nous avons pris le temps de lever leur principale crainte : celle d’une médecine rapide, facile d’accès, en mode « open-bar », acceptant certaines dérives consuméristes. Non, il s’agit, je le répète, d’un dispositif qui répond à des besoins urgents de soins non programmés. Avec ce dispositif, les médecins libéraux assument une responsabilité collective, en prenant à leur compte une part des soins non programmés. Le Bas-Rhin est un bon département pour lancer cette expérimentation, car un grand nombre de médecins était déjà impliqué dans des dispositifs de régulation, notamment le week-end et la nuit.
Le dispositif peut s’étendre ?
À terme, nous souhaitons le déployer auprès des spécialistes, kinésithérapeutes, infirmiers, laboratoires d’analyse… Nous nous inscrivons dans une démarche de coordination des soins, de prise en charge des parcours des patients.