De l’autre côté de la frontière, les chiffres sont rassurants. Le taux d’infection (qui sert à mesurer le nombre de personnes contaminables en moyenne par chaque malade) du Covid-19 est descendu à 0,7 en Allemagne, selon l’estimation publiée par l’institut Robert Koch, l’autorité fédérale chargée de la veille épidémiologique en Allemagne. Sans masques et sans confinement, ce taux serait resté proche de son seuil moyen de 3.
Comprenez par là que sans mesures restrictives, une personne atteinte du Covid-19 pourrait en infecter en moyenne trois autres à son tour, et qu’en dessous d’un taux nul (1 personne = 1 nouvel infecté), le virus serait amené à disparaitre progressivement. C’est actuellement le cas en Allemagne, même si ce taux de 0,7 pourrait repartir à la hausse face à un relâchement de la population.
En conséquence, Berlin a annoncé mercredi dernier un assouplissement de ses mesures de restrictions et un déconfinement progressif qui commence à ce jour, lundi 20 avril. Le programme de déconfinement débute par la réouverture des commerces de moins de 800 mètres carrés ainsi que de certaines activités comme les librairies, les concessions automobiles et les magasins de vélo.
La situation est-elle vraiment stabilisée en Allemagne ? Comment expliquer de si bons résultats à seulement quelques kilomètres de chez nous ?
MIEUX PRÉPARÉE POUR LE FRONT
Avec un niveau de dépenses de santé par habitant parmi les plus élevés d’Europe, l’Allemagne dispose d’un système de soin particulièrement bien préparé, avec un nombre de médecins et de lits d’hôpitaux de soins d’urgence largement supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (+ de 6 lits pour 1000 habitants contre 3 en France, 2,6 en Italie et 2,4 en Espagne). Source : OCDE
De plus, l’accès au soin y est plus simple en milieu rural, car le pays concentre très peu de déserts médicaux contrairement à la France, où les infrastructures sont plus espacées en raison d’un maillage hospitalier centralisé et non fédéralisé — par länder — comme en Allemagne.
En France, la situation des hôpitaux publics est difficile depuis de nombreuses années. Les voyants sont écarlates. On se souvient de la « polémique Roselyne Bachelot », ex-ministre de la Santé en 2009, qui avait signé l’achat de 1,7 milliard de masques chirurgicaux et FFP2 pour les mettre à disposition du personnel soignant lors de la crise de la grippe H1N1. Elle avait alors été vivement critiquée pour avoir « gaspillé » l’argent public, et avoir pris trop de précautions. La France a donc diminué ses réserves pour arriver début 2020 à un stock de seulement 150 millions de masques, et seulement de type chirurgical.
Pour finir, touchée plus tardivement que l’Italie ou la France par l’épidémie, l’Allemagne a pu adopter plus efficacement une stratégie de dépistage ciblée, visant à ralentir la propagation de l’épidémie, et donc à éviter la saturation de son système de soins, déjà mieux préparé et plus organisé que le nôtre grâce à une entraide entre länder. Avec ces ressources, et pouvant se permettre l’achat de nombreux tests sérologiques, le pays a pu dissiper davantage de doutes que les autres sur l’avancée de son combat contre le Covid-19.
LES PREMIERS SURVIVANTS DE LA CRISE
Factuellement mieux préparée que ses voisins face au virus, à en croire certaines données, l’Allemagne serait de surcroît épargnée par les cas mortels. Il y a une semaine, le nombre de personnes contaminées en Belgique s’élevait à près de 28 018 personnes pour 3 446 décès, soit un taux de mortalité proche de 12,30 %. À la même date, la France comptait 130 730 personnes contaminées et plus de 13 851 décès liés au virus, soit un taux de mortalité proche de 10,6 %, alors que l’Allemagne comptait 125 452 cas pour seulement 2 871 décès, soit un taux de mortalité proche de 2,29 %.
Mais comment expliquer de si grandes différences ? À la vue de ces chiffres, l’Allemagne semble s’en sortir miraculeusement.
Il s’agit en fait d’une déformation statistique. Chaque pays tient compte de critères différents pour son propre comptage de malades. La faiblesse du taux de mortalité constaté en Allemagne s’explique par plusieurs facteurs : avec près de 350 000 tests réalisés chaque semaine à partir de la mi-mars, puis 500 000 depuis avril, pour presque 2 millions à ce jour, le nombre de tests pratiqués dans le pays est l’un des plus élevés au monde, et contribue à dessiner un tableau de la mortalité du virus très différent des autres pays.
Certains comptabilisent comme « cas de coronavirus » toute combinaison de symptômes s’apparentant au Covid-19, tandis que d’autres ne se réfèrent qu’aux tests, quand bien même il existe un consensus médical international affirmant qu’ils ne sont fiables – au mieux – qu’à 95 % (et là encore, ce nombre mériterait une plus ample analyse pour être pertinent). Dans ce scénario, les résultats varient énormément, et il est difficile d’établir une mesure claire et uniforme du taux de mortalité du coronavirus en Europe. En somme ; il est finalement plutôt simple de constater un décès dû au virus, mais beaucoup moins de diagnostiquer le Covid à partir d’une toux, si, comme en France, on dispose de très peu de tests. Il faut également noter que l’Allemagne n’effectue pas de test post-mortem, alors que ces tests sont effectués en France.
Comme le montre le graphique du Spiegel, qui décrit l’évolution du nombre de décès liés au Covid-19 à partir des 10 premiers décès, l’Allemagne a été touchée par l’épidémie avec 8 jours de décalage par rapport à la France et 14 jours de décalage par rapport à l’Italie. Mais la courbe des décès en Allemagne suit, dans les 10 premiers jours, une évolution comparable aux courbes françaises et italiennes. Elle se caractérise en revanche par une inflexion plus rapide que dans les autres pays européens grâce à un meilleur ciblage du virus et une meilleure organisation sanitaire.
PAS ENCORE TIRÉE D’AFFAIRE
Il ne faut pour autant pas oublier que le système de santé allemand est lui aussi en souffrance. Comme la France, l’Allemagne manque de masques et de surblouses depuis le début de cette crise. Depuis longtemps déjà, le personnel de l’hôpital public est en sous-effectif et les salaires stagnent.
Bien que le taux d’infection du Covid-19 soit descendu à 0,7, Angela Merkel a tenu à préciser que toute nouvelle augmentation du taux d’infection pourrait faire « déborder » le système de santé allemand.
Même avec un taux à 1,1 nous pourrions atteindre les limites de notre système de santé en termes de lits en réanimation d’ici octobre. Avec un taux à 1,2, nous atteindrons les limites de notre système de santé en juillet. Avec un taux à 1,3, nous y arriverons déjà en juin.
Angela Merkel
La prochaine étape du déconfinement progressif du pays est fixée au 4 mai, avec la réouverture de certains établissements du tertiaire ainsi que des écoles et des lycées, afin que les élèves en fin de cycle puissent passer leurs examens de fin d’année. Les autres classes seront rouvertes plus tard tout comme les crèches, tandis qu’aucune date de réouverture n’a pour l’instant été fixée pour les restaurants et les hôtels. Les règles de distanciation d’au moins 1,5 mètre resteront en vigueur et les « grands rassemblements », eux, demeureront interdits au minimum jusqu’au 31 août.
D’ici à une reprise de la vie normale après l’épidémie — dont personne ne saurait estimer la date dans l’hypothèse d’un nouveau pic — le gouvernement recommande fermement de prolonger le port de masques dans les magasins et transports en commun. Il continuera par ailleurs d’appliquer son programme de traçage du Covid-19 à l’échelle nationale.