dimanche 24 novembre 2024
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Philippe Jaenada et les monstres de Haguenau

Philippe Jaenada, l’auteur du Chameau sauvage, de La serpe (prix Fémina) ou de Sulak, publie Au printemps des monstres (Éditions Miallet-Barrault). Dans le livre événement de la rentrée littéraire, il évoque l’Alsace, sa belle-famille et… Haguenau où fut incarcéré quelque temps Lucien Léger dans la prison fermée en 1986 et transformée en médiathèque (voir Maxi Flash N°251). Avant lui, Pauline Dubuisson y passa six ans, entre 1953 et 1959 et l’écrivain enquêteur avait écrit La petite femelle à son sujet.

Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de Luc Taron en 1964, Lucien Léger fut longtemps le plus ancien détenu de France (il a passé 41 ans derrière les barreaux). Au printemps des monstres raconte ce personnage fascinant que Jaenada croit innocent. Celui qui se surnommait lui-même l’Étrangleur dans une cinquantaine de lettres envoyée aux parents de la victime, aux enquêteurs et aux médias, avait d’abord avoué le crime avant de se rétracter. Personne d’autre que Jaenada ne pouvait mener l’enquête de cette façon, avec cet humour parfois complètement décalé et un sens du détail très affûté, le tout sur une distance de 700 pages. Un travail monstre.

Votre épouse Anne-Catherine est alsacienne, vous ne ratez jamais l’occasion de le rappeler dans vos livres. Que savez-vous de l’Alsace, en plus d’avoir une épouse alsacienne ?

Philippe Jaenada : En plus d’avoir une épouse alsacienne, rien. Mais j’ai découvert la région grâce à elle. Moi qui ne quitte jamais Paris, je ne connaissais pas l’Alsace. Tous les membres de sa famille sont restés dans la région, elle est la seule à s’en être extirpée, et puis alors, ce sont de vrais Alsaciens. Ils sont à Wimmenau dans les Vosges du Nord à côté d’Ingwiller, à une vingtaine de kilomètres de Saverne. C’est le fin fond de l’Alsace, peuplé de protestants sauvages. Je les aime beaucoup, tous, toute la famille, mais c’est vraiment spectaculaire. Ils sont tous à la fois très sympathiques et déconcertants. Dans mes livres je dis que ma belle-famille est complètement dingue, et eux répondent : « si c’est vrai, on a le droit de le dire ».

Lire aussi : l’épopée de la médiathèque de Haguenau

Venez-vous souvent en Alsace ?

PJ : Oui, un Noël sur deux déjà, et en général une autre fois par an. Anne Catherine y vient plus régulièrement, moi j’ai des trucs à faire à Paris, et ça m’arrange. À Noël, on est une table de quinze. Ils ne parlent qu’alsacien, et moi je n’ai pas besoin de faire semblant de m’intéresser ou de me mêler à la conversation.

Cela vous permet de bien vivre votre misanthropie !

PJ : Exactement, c’est parfait, je suis là et je n’ai pas besoin de manifester une quelconque compréhension. Ils ne parlent français que lorsqu’ils ont une vacherie à dire. Ils se balancent des trucs avec une grande sincérité. Blague à part, ce sont des gens formidables, je les aime beaucoup et j’adore venir en Alsace.

En 2012, un livre a été publié sur l’affaire Lucien Léger, il mettait déjà en doute sa culpabilité. Pour quelles raisons cette histoire vous a intéressée ?

PJ : Tant que j’écris, tant que je travaille, je suis totalement fermé à tout ce qui est extérieur, j’ai l’impression de n’être au courant de rien, mais dès que j’ai terminé d’écrire, c’est comme si mon cerveau ou mes sens s’ouvraient. Et là je suis bombardé, j’ai dix histoires possibles par jour, soit je les lis dans les journaux, soit je les vois à la télé, soit on m’en parle au café en bas de chez moi. Je reçois plein des mails de gens qui me disent intéressez-vous à ça, et ma grand-mère a été accusée injustement, et connaissez-vous l’histoire de… les sujets fourmillent et il y a un truc qui m’alerte. Pour Au printemps des monstres, c’était à la sortie de La serpe, j’étais invité sur France Inter avec l’avocat Henri Leclerc, et, pour ne pas avoir l’air crétin, j’avais lu ses mémoires, il parlait de Léger. Cette affaire-là m’a interpellé, elle pouvait faire un objet littéraire. Au départ c’était juste une étincelle, puis j’ai avancé dans cette histoire jusqu’à m’y engloutir complètement.

La médiathèque de Haguenau était autrefois une prison. ©JH
Et puis, le jour de votre naissance en 1964 est celui du dernier jour sur terre du petit Luc Taron…

PJ : J’aime bien les coïncidences, mais je suis assez cartésien. Évidemment, je me dis que ça ne veut rien dire et en même temps il y a un fond de moi un peu superstitieux. C’était comme un petit signe qui m’encourageait à continuer.

Le titre du livre vient d’une phrase de Lucien Léger lui-même « je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres », mais vous écrivez que ce n’est pas forcement lui le plus monstrueux, il y a aussi le père qui s’en fout et ceux qui accusent Léger. En latin, la racine de monstre, Monstrare, signifie « vouloir montrer quelque chose », c’est très intéressant cette notion de monstruosité en ce qui vous concerne, vous avez écrit un livre de sept cents pages. Il y a quelque chose de monstrueux dans votre travail non ?

PJ : Lucien Léger correspond très exactement à la définition du monstre, c’est-à-dire inhumain et diabolique, en tout cas c’est comme ça qu’on l’a présenté. Plus j’avançais dans mes recherches, plus je me rendais compte que Léger, dont je suis persuadé qu’il est innocent, était un tout petit monstre ; on peut dire un monstre d’orgueil ou de vanité. Les vrais monstres, ceux qui font peur, ceux qui se cachent, étaient autour de lui. Quand on dit un livre monstre, ou un écrivain monstre dans la presse, c’est plutôt une qualité, mais effectivement le mot a des aspects très différents. Depuis que j’ai trouvé le titre, je me rends compte qu’il revient souvent dans l’actualité, dans les médias. C’est un mot multiforme, qui dit des choses presque opposées.

Votre style est fait de détails, d’humour et de digressions. Il vous est propre. De temps en temps, vous parlez de votre femme. Je me souviens d’une interview de vous où vous disiez qu’il était très important pour un écrivain de chercher des phrases qui n’ont jamais été écrites par quelqu’un d’autre.

PJ : Pour moi, un bon livre est un livre sans cliché. Je lutte contre ça. Et puis après, j’espère que j’ai ma manière d’écrire et mon style. Mais ce n’est pas juste une histoire d’écriture, c’est une histoire de vie tout simplement.

Une dernière question qui n’a rien à voir avec tout ça, quoi que, je voudrais savoir si vous êtes un homme heureux ?

PJ : Oh la vache !!! Je pense qu’un mec au fin fond d’une prison pourrait dire qu’il est heureux, et un autre dans un palace pourrait être malheureux. Tout le but de mon premier roman le Chameau sauvage était de dire « on décide soi-même ». C’est le fameux truc du chameau qui se couche quand il estime qu’il a gagné, ça veut dire « c’est moi le plus fort tu peux te casser ». J’en ai tiré une espèce de philosophie de comptoir, on décide si l’on est heureux ou pas. Ma mère a quatre-vingts ans, elle dit qu’elle n’a jamais été aussi heureuse, alors qu’un pote d’enfance affirme que c’est atroce, que l’on est sur la pente vers la mort. C’est plutôt rassurant de se dire c’est moi le chef, c’est moi qui décide. Donc, attention révélation… Je suis heureux.

Et j’ai bien noté que dans ce bonheur-là, il y a quand même deux passages en Alsace chaque année. À mon avis, c’est très lié.

PJ : Bien sûr que ça joue, une année serait malheureuse si je ne venais pas deux fois à Wimmenau.

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