Il y a un an, le seul œil dont vous vous serviez pour peindre vous a fait faux bond. D’une seconde à l’autre ?
Sylvie Lander : Oui, et les événements se sont enchaînés d’une manière fulgurante : le 17 janvier 2022, les premiers symptômes, le 24 janvier le diagnostic, le 31 janvier l’intervention chirurgicale. La première semaine de ma convalescence, je suis restée prostrée la tête vers le bas durant six jours pour maintenir la bulle de gaz injectée dans l’œil au contact de la macula. Le chirurgien avait fait la moitié du chemin, il me restait à faire ce marathon pour avoir une chance que l’opération réussisse. Ensuite a commencé une patiente reconquête de ma vue extérieure, obturée par la bulle de gaz. Et je décide, pour conjurer le sort, de peindre du 15 au 28 février une série de trente aquarelles avec la vision de mon œil gauche handicapé de naissance qui n’a que 4/10 corrigé.
Comment peindre lorsque la vue est ainsi déformée ?
SL : J’ai transcrit par la couleur mes multiples perceptions, ce que voyait mon œil droit dans son intérieur avec les nombreux prismes, corps flottants, de l’obscur à la lumière, en attendant de pouvoir constater si mon œil reverrait le monde qui l’entoure. Et cela en tenant un journal de bord quotidiennement jusqu’au 1er mars.
Quand êtes-vous sortie de ce cauchemar ?
SL : À partir du mois d’avril, j’ai pu reprendre petit à petit les rênes d’une vie normale en apparence, en essayant de m’adapter au mieux à l’instabilité de l’œil. Pour me délivrer au mieux de ce vécu à la fois foudroyant et traumatisant, j’ai profité de tout l’été pour mettre en forme ce livre comme un acte artistique, un témoignage, une sublimation, une convocation, pour laisser trace dans mon parcours de peintre. Avec le recul, je réalise que je porte les vibrations des couleurs en moi, étrange sensation que de pouvoir peindre même lorsqu’on voit à peine. Une œuvre singulière a pu naître au bout de ce tunnel et j’ai de la gratitude envers la vie, les proches qui m’ont aidée et moi-même d’avoir eu la force de l’accomplir.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
SL : En ce mois de janvier, l’œil continue toujours à se stabiliser dans sa vision proche-intermédiaire ; pour l’anecdote : cela ne fait que quelques semaines que je revois les lignes droites ! En revanche, une cataracte très gênante pour la vision de loin se forme, conséquence annoncée à la suite de l’opération. Une deuxième intervention m’attend au printemps, mais bien moins délicate que la première ! J’ai recommencé à peindre avec les deux yeux ! Essentiellement des aquarelles en moyen format, en attendant la nouvelle vue de mon œil droit, plus stable et définitive je l’espère.
Avez-vous récolté du positif de cette épreuve ?
SL : Cette traversée m’aura appris à garder confiance – l’être humain a des ressources infinies en lui pour faire face aux épreuves –, le pire aurait été de ne plus que voir la beauté du monde avec les 4/10 de mon œil gauche ; je m’y étais préparée intérieurement, et le reste était gagnant-gagnant ! Je suis aussi reconnaissante à cette chirurgie réparatrice hautement technique et ceux qui savent la mettre en œuvre.
Une œuvre singulière a pu naître au bout de ce tunnel et j’ai de la gratitude envers la vie, les proches qui m’ont aidée et moi-même d’avoir eu la force de l’accomplir.
Un projet en cours ?
SL : J’ai un nouveau chantier qui se met en place pour une réalisation pérenne ; il est trop tôt pour l’évoquer. Et dans un avenir un peu plus lointain, en 2025, j’ambitionne de fêter un nouveau jubilé, comme celui en 2010 pour les 25 ans de mon diplôme des Arts décoratifs de Strasbourg. Avec comme temps fort un deuxième ouvrage – LUX II – qui marquerait mon parcours artistique de ces quinze dernières années. J’aimerais également mener une réflexion autour d’un « parcours Lander » en Alsace avec mes réalisations pérennes comme étapes, avec une exposition ; toute une programmation stimulante qu’il me reste à mettre en perspective !