La littérature a cela de magique qu’elle nous entraîne vers des territoires sur lesquels nous n’aurions certainement jamais posé le regard, éclairant alors par la lumière des mots des zones sauvées de l’oubli. Bien trop d’odyssées ont été oubliées. Le récit de Bibiana Candia en est la preuve. Il suffit alors parfois d’une simple étincelle pour donner vie au feu qui couvait. Des lettres, SOS d’hommes en détresse, retrouvées au hasard d’archives ont permis de faire naître un récit littéraire puissant et essentiel, en redonnant vie à ces Galiciens meurtris par l’histoire. Dans son roman Azucre, l’autrice raconte l’histoire de 1700 jeunes qui, en 1853, quittèrent leur Galice natale pour se rendre à Cuba. Là, on leur promettait du travail et un avenir plus prospère, mais ce n’est pas ce qu’ils trouvèrent. Trompés par Urbano Feijóo, qui voulait promouvoir la colonisation blanche sur l’île, ils finirent par devenir esclaves. De cette fiction construite pour révéler une vérité, comme une tentative de recomposer cette histoire populaire et cette mémoire qui ne nous sont jamais parvenues de la bouche de ses protagonistes, l’autrice nous immerge au cœur de cette épopée tragique dans un récit qui prend aux tripes. En effet Azucreest avant tout un roman de personnages, un témoignage humain que portent Oreste Veiga, Amador le Tubard, Manuel Bordenface mais aussi José Le Croqué, partis dans ce périple l’espoir au cœur et qui se transformera en cauchemar. La description des émotions, des peurs et des espoirs des protagonistes parvient à retranscrire la souffrance des corps autant que des esprits dans cette expérience tragique de l’exil, du déracinement et de la recherche désespérée d’un avenir meilleur qui n’arrivera jamais. Grâce à une langue parlée et musicale qui nous tient du début à la fin et à cette tension qui reflète le contenu de l’histoire, ce roman est percutant et j’y ai entendu résonner le texte de Mathieu Belezi, Attaquer la terre et le soleil. Alors, plongez dans Azucre, car de ce voyage amer l’autrice sauve une épopée injustement oubliée qui parvient indéniablement à nous embarquer, le cœur serré.
Isa sur insta : L’Odyssée des Mots