jeudi 14 novembre 2024
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Houx et bruyère en fleur Le bouquet de Victor Hugo pour sa fille Léopoldine

« Demain dès l’aube… », ce poème de Victor Hugo que beaucoup ont appris à l’école, touche par sa simplicité et son pouvoir émotionnel. Il évoque la douleur d’un père qui porte sur la tombe de sa fille un bouquet de bruyère et de houx, deux plantes dont l’alliance étonnante m’a toujours interpellée.

Le 4 septembre 1843, Léopoldine Hugo, la fille aînée de Victor Hugo dont il était très proche, jeune fille de 19 ans mariée depuis quelques jours à peine, meurt noyée avec son mari Charles Vacquerie, dans les eaux de la Seine à Villequier, lors d’une promenade en canot qu’une tempête soudaine a fait chavirer.

Victor Hugo est alors âgé de 41 ans. Sans barbe, il n’a pas encore l’apparence de l’aimable grand-père de la nation généralement représenté. Il revient d’un voyage qu’il a fait en Espagne avec sa maîtresse Juliette Drouet et apprend le drame seulement quatre jours plus tard, en lisant le journal Le Siècle, alors qu’il se trouvait à Rochefort pour une halte sur le chemin du retour.

« Léopoldine au livre d’heures », par Auguste de Châtillon. Le tableau porte la date du 28 août 1835, qui est le jour du 11e anniversaire de Léopoldine Hugo. / ©dr

Cet événement tragique a profondément marqué l’œuvre de ce génie romantique. Sa peine est écrasante. Il rédigera le poème « Demain dès l’aube » quatre ans plus tard, le 4 octobre 1847. Le poème brille dans la partie centrale de son célèbre recueil, Les Contemplations, qui sera publié en 1856, treize ans après le décès de Léopoldine.

Ma mère comme ses deux sœurs connaissaient le poème par cœur. Elles l’avaient appris à l’école primaire de Lochwiller. En les écoutant le réciter, j’étais à chaque fois touchée et je restais à chaque fois interrogative quant au bouquet que le poète dépose sur la tombe. Sa rime fait intervenir la bruyère associée au houx si piquant qui décore joliment les tables et les maisons à l’approche de Noël. Mêler les deux végétaux, telle est la liberté du poète. Il est vrai que ces deux fleurs associées créent une belle musique aussi bien à l’écrit que verbalement. Mais comment est en réalité ce bouquet ? Rarement – ou peut-être jamais – une fleuriste ne pensera à l’association de bruyère et de houx.

J’ai eu envie de réaliser ce bouquet afin que vous puissiez le visualiser, en me heurtant à quelques énigmes. La bruyère à laquelle pense Hugo est-elle bien la sauvage nommée Heidekrüt en alsacien, qui tapisse de rose et de mauve les landes et les clairières de forêts vers la fin du mois d’août ? Le houx quant à lui est à l’apogée de sa beauté lorsque ses baies deviennent rouges. Ce qui se produit généralement à partir du mois d’octobre et dure jusqu’au printemps, si les oiseaux ne les ont pas mangées avant. Il reste vert toute l’année et est à manipuler avec doigté, car ses feuilles sont piquantes. Victor Hugo l’imaginait-il avec des baies rouges ou des baies encore vertes ? Le poète a-t-il seulement vu ou tenu un bouquet mélangeant houx et bruyère ?

Portrait de Victor Hugo en 1853 par Charles Hugo et Auguste. / ©dr

Sans doute que dans la fulgurance de l’inspiration, c’est l’amour des mots et de la rime qui lui a fait coucher les alexandrins sur le papier. Le manuscrit du poème révèle d’ailleurs son hésitation quant à la chute puisqu’il note deux autres fins possibles, à savoir « une branche de houx et de la sauge » ou « une branche de houx et de la bruyère ».

De mes promenades d’enfant, j’ai toujours aimé rapporter dès août un bouquet de bruyère que Mmaman conservait dans un vase, sans eau, ce qui avait l’avantage de ne pas laisser d’auréoles sur les meubles. Au bout de quelques semaines, la fleur perdait ses couleurs, et ses minuscules berlingots mauves tombaient lorsqu’on les effleurait. Aujourd’hui encore je cueille une fois par an un petit bouquet de bruyère autour du Brotsch ou du Haberacker, dans la forêt de mon enfance. Et je pense à chaque fois au chagrin de Victor Hugo. Pendant une dizaine d’années, après la mort de sa fille, il n’a plus eu de production littéraire, ne laissant que quelques rares compositions comme « Quand nous habitions tous ensemble », écrit l’année après sa mort. Il devint adepte du spiritisme et des tables tournantes, pour établir un contact avec sa fille disparue. À partir de 1853, sa puissance d’écriture revint. La Légende des siècles restait encore à naître.

Dans le roman Les Misérables qui paraît en 1862, il écrit ces mots emplis d’espoir :
« Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera. » Il lui restera alors un peu plus de deux décennies à vivre. Il deviendra un intellectuel de plus en plus engagé et une personnalité politique qui aura des funérailles nationales en 1885. Plus de deux millions de personnes suivront, de l’Arc de Triomphe au Panthéon, le cortège de ce père fracassé, génie littéraire devenu une icône républicaine.

Le manuscrit du poème écrit par Victor Hugo
le 4 octobre 1847. / ©dr
Demain, dès l’aube…

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, Les Contemplations,
3 septembre 1847

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