l’entrée de son atelier, à l’ombre de la Bibliothèque François-Mitterrand, on tombe sur une pile de feuilles cartonnées remplies de couleurs primaires, comme un tract ou un mini dossier de presse. Le titre : Aline Houdé Diebolt, designer papier et set designer acidulé. C’est elle sur la photo, un sourire en coin. Je lis l’argumentaire : « Le papier gagne en maturité entre les mains d’Aline, qui le donne à voir sous un tout nouveau jour. La liberté esthétique et technique qu’il lui offre lui permet de laisser libre cours à son inventivité pour créer tous types de formes et de matières ».
Plus loin : « Autodidacte, elle se sent libre de créer à l’infini ». Et puis cette phrase : « Je veux pousser le papier dans ses retranchements, le donner à voir là où l’on ne l’attend pas ». Et question retranchement, Aline est une pro. À cet instant de notre rencontre, je ne sais pas à quel point.
Elle raconte avec le sourire, collé, greffé, comme si elle était perpétuellement étonnée d’être sur Terre, avec cette trajectoire de rêve, singulière, plurielle. Elle a su très vite qu’elle allait s’orienter vers une carrière artistique, que c’était son seul univers. Enfant unique, elle bidouillait ses petits trucs dans son coin, elle fabriquait des jouets en carton.
À l’école, elle met plus de temps que les autres à lire, à comprendre aussi. Les enseignants n’aiment pas ceux qui retardent la classe, les faibles, les élèves antithétiques. Aline est dyslexique, mais à l’époque c’est une sorte de rhume, pas important. On méprise ses troubles, ce qui n’est pas encore reconnu comme un handicap. Elle n’entre dans aucune case, c’est identifié, définitif. Elle ne se sent pas à sa place, sauf une fois par semaine ; les cours d’arts plastiques sont l’échappatoire. C’est le lieu de la joie, de la lumière, des sourires à sa différence. Le lieu de cette conscience en forme de question : Comment on se débrouille avec ses problèmes, comment est-ce possible d’en faire une force ? Comment se fabriquer de ses mains un beau destin ? C’est la clé de sa vie.
Sa faiblesse est devenue sa force
À 15 ans, elle intègre le cursus Arts appliqués au lycée Marc Bloch à Bischheim, elle est interne. C’est passionnant, mais: « Il n’y a pas que l’art dans la vie, Aline Houdé Diebolt, il y a les autres matières, on vous l’a suffisamment répété. Ce n’est pas comme ça que l’on réussit dans la vie, mademoiselle ! » C’est bizarre mais plus personne ne lui parle de cette dyslexie qui pesait trop lourd et qui n’a pas disparu pourtant. On explique à ses parents que les études ne sont pas faites pour elle. Mais, forte de leur soutien, Aline se dit que personne ne décidera à sa place, que ce soit bien clair. Elle « gagne » son bac en 2003, grâce au coefficient très élevé des matières artistiques, elle est major de promo en arts. Elle est surtout héroïque. Pas assez cependant pour l’École supérieure des Arts appliqués Duperré à Paris, son rêve. Elle échoue. Elle se dirige alors vers l’École supérieure des Arts appliqués et du textile de Roubaix, l’ESAAT.
À 18 ans, elle quitte l’Alsace et travaille particulièrement les matières générales. Deux ans plus tard, ça passe. Cette fois, elle fait son entrée à l’école Duperré, spécialisée dans la mode. Diplôme en poche, elle part six mois en Chine dans un institut d’arts traditionnels à côté de Shanghai. « Je ne comprenais pas la langue, et comme c’était une école d’arts traditionnels, je regardais les gestes et je les reproduisais », dit-elle en se marrant. Elle rentre à Paris et, défi ultime, elle entre en fac pour un Master 2 en gestion des métiers du design et du luxe : « C’était l’enfer sur terre, toutes les semaines, je me disais que j’allais arrêter. Je prenais des notes, je ne comprenais rien et une fois rentrée à la maison, je retravaillais sur ces notes, parce que je n’avais pas le vocabulaire ». Son acharnement paye une fois encore, elle décroche son diplôme et elle se lance dans la vie professionnelle. Pendant sa dernière année d’études, lors de l’intervention d’une professionnelle, elle a une révélation : elle découvre le métier de concierge de luxe, une sorte d’assistante personnelle pour clients fortunés. D’abord en stage pendant six mois au sein d’une conciergerie, elle propose de créer un pôle événementiel et coordonne les séminaires de grandes maisons de luxe, des évènements et des mariages pour des multimillionnaires, des hommes politiques, des stars du cinéma et de la télé. C’est chronophage, physiquement éprouvant, elle est frustrée de ne plus rien faire de ses mains, de ne plus être artiste. Après trois années intenses, elle arrête du jour au lendemain, sans savoir ce qu’elle va faire.
Elle n’entre dans aucune case, jamais
Aline se refait une santé et un moral, elle retrouve sa créativité, elle imagine des projets ambitieux, elle dessine des motifs textiles, qu’elle fabrique ensuite en papier. Elle les publie sur un portfolio en ligne, elle est repérée par celle qui deviendra son agent. Elle crée son entreprise et décroche de beaux contrats. Quelques années plus tard, elle fréquente les Ateliers de Paris, un incubateur dans les métiers de la mode et du design, rue du Faubourg Saint-Antoine. On lui offre une carte blanche, ou plutôt une carte jaune, la couleur choisie cette année-là pour l’expo « Sous le soleil exactement » ; elle invente une vitrine et profite d’une belle visibilité. La presse spécialisée s’intéresse à elle et Hermès lui confie la conception d’une vitrine de l’aéroport Charles-de-Gaulle : « C’était quelque chose de dingue, j’ai tout donné, c’était un peu le lancement de ma carrière. Après, tout s’est enchaîné ».
Aline est devenue Aline HD, l’artiste qui a trouvé le moyen de s’exprimer, elle a fait avec sa façon de vivre, avec sa différence. Depuis sept ans, elle travaille principalement dans le secteur du luxe, toujours pour Hermès ou des marques du groupe LVMH comme Guerlain ou Prada. Elle fabrique et conçoit des vitrines, des shootings pour des campagnes de pub, du contenu pour les réseaux sociaux. Ce qu’elle aime, c’est dessiner le concept, raconter une histoire. Au moment de notre rencontre, elle crée des fleurs pour une centaine de boutiques Louis Vuitton aux quatre coins du monde.
Le projet de sa vie
Et son sourire devient encore plus beau lorsqu’elle évoque l’avenir. Pour aider les étoiles montantes de la création française et internationale, elle va ouvrir et diriger une résidence d’artistes pluridisciplinaire au sud de la Corrèze (art et design, littérature, art de la scène, gastronomie, musique, et paysagisme), une sorte de Villa Médicis française. Carrément! L’ouverture est prévue début 2025 : « La Villa Canopée est un projet de vie, c’est le projet du reste de ma vie ». Mais avant de partir, elle prépare une expo de ses œuvres personnelles à Copenhague et une autre pour célébrer les 10 ans de son entreprise.
Dans la liste des invités, il y aura certainement du beau monde et quelques Alsaciens qu’elle n’a pas oubliés, ceux de l’origine, et ceux qu’elle a rencontrés depuis à la Maison de l’Alsace sur les Champs-Élysées. De sa région de cœur, elle se souvient de la période de Noël qui a bercé son enfance : « J’ai essayé de décrocher un contrat pour travailler sur les marchés de Noël en Alsace, mais je n’ai jamais réussi. C’est dommage, j’aurais adoré. Ce n’est pas un problème, mais ça me pousse encore plus à voguer vers d’autres contrées », dit-elle avec ce sourire qui ne l’a pas quittée depuis le début de notre conversation et qu’elle conservera pour notre séance photo, dans la belle lumière de son atelier parisien.