Alors, il était une fois. Ça commence toujours de la même manière, Es war einmal ein : Eucat Bruno, un mec bien sympa, sexy, charmant, charmeur, gaulé comme une allumette, sportif, coiffé mode disco cheveux ondulés coupe bouffante, un peu comme l’acteur américain qui jouait dans Ghost, Patrick Swayze, même look soigné. Ma rencontre avec Bruno date des années chemise à fleurs, jean Levis moulant délavé, pattes d’éléphants, t-shirt échancré, serré au corps, dans les tons très colorés, nous sommes bien dans les années ROCK AND ROLL.
Bruno est toujours et encore un grand sportif.
On se retrouvait souvent à la Wantzenau, dans cette institution sportive, la Cour de Honau qui appartenait à la famille Christian, le fameux pâtissier de la rue Mercière à l’ombre de la cathédrale. Tout Strasbourg venait dans ce temple du sport qui était à cette époque un lieu où les gens se retrouvaient non seulement pour l’exercice physique, mais aussi dans un esprit presque théâtral. Ce n’était pas sa tasse de thé, d’être cloîtré dans une salle de sport, faire son footing sur un tapis de course où tu respirais à pleins poumons la transpi du voisin, au son d’une musique disco. Bruno préférait courir dans la nature, au calme en se concentrant sur sa foulée, son souffle. La course à pied est un sport qui exige force, discipline et endurance. Sur la digue de la Wantzenau, à l’ombre des platanes séculaires, Bruno Eucat, en tenue de jogger funky, short couleur turquoise rayures rose et violet, bandeau autour de la tête comme Björn Borg le tennisman, arborait des chaussures Nike running vert fluo ! Un style qui dégageait une certaine élégance. Souvent je l’accompagnais, pendant plus d’une heure, je courais dans sa foulée. Bruno Eucat le producteur, organisateur de concerts me racontait ses innombrables aventures pendant nos entraînements de course à pied.
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Du 15 au 17 août 1969 : le concert de Woodstock
Une révélation pour lui. Sur la côte Est des États-Unis, pendant les trois jours, Bruno passe son temps à scruter les images du festival à la télé, écoute la radio, la musique devient sa passion, il rêve d’organiser des concerts. Rien ne l’arrête, audacieux, il frappe aux bonnes portes. Bruno, rencontre les bonnes personnes au bon moment dont Jean Claude Elmer, le boss de la plus belle discothèque de l’est de la France, Le Chalet, haut lieu festif au fin fond de la Robertsau, où défilent pas mal de stars avec lesquelles il organise ses premiers concerts. De prestigieuses affiches : Peter Gabriel, Phil Collins, Genesis se produisaient devant 450 à 600 personnes. Avec Cookie Dingler, son groupe de potes strasbourgeois, il organise au Tivoli un concert tremplin, plus de 2500 places vendues, gros succès. De fil en aiguille la carrière de Bruno Eucat est lancée. Il produira, le 9 septembre 1994, le mythique groupe Pink Floyd : 40 000 personnes agglutinées au Stade de la Meinau, 60 semi-remorques de matos, une sonorisation en quadriphonie, 300 haut-parleurs, la plus grosse machine de scène de la décennie.
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Pendant ce temps, on trottine toujours
-Dis-moi Bruno, tu as une excellente forme physique, une bonne cadence, bonne foulée, tu cours comme un lapin, aucune gêne pour me parler ? Tu déroules !
-Ben, le Muller ! J’peux te dire la même chose, tu cours dans mon sillon ! Par contre, tu respires comme une vieille loco !
-Bruno t’exagères, PFFFF ! J’attends plutôt la suite, les paillettes, les stars ! Les concerts qui s’enchaînent : U2, et Johnny, toujours à la Meinau, Jean-Jacques Goldmann au hall 16 du Wacken, etc.
-Ok, j’te raconte mes anecdotes André, tu les transcris pour tes Maxi-Läser’s. Le concert que j’avais organisé avec le groupe irlandais U2 a été un gros succès, 40 000 entrées payantes, toute la Meinau était en délire. Autre méga concert de folie avec Johnny Hallyday, « une bête de scène », le stade de la Meinau transformé en salle de spectacle. L’idole fêtait son 60e anniversaire sous les étoiles alsaciennes : plus de 40 000 fans ont chanté tous en cœur Joyeux Anniversaire, JO. Après ça, Johnny m’a fait une confiance totale et nous avons, avec ma team, organisé sa tournée en Afrique. Togo, Gabon, Dakar, on a rempli les stades, les salles de concert, on a joué à guichet fermé. Johnny était une immense star en Afrique, comme partout ailleurs.
-Bruno, tu ne veux pas ralentir ta foulée, mon chrono m’indique que nous courons depuis 40 minutes. Tu n’as pas une anecdote croustillante sur « le taulier » ?
-Je ne peux pas tout dire André, mais note celle-ci : j’espère que Jean-Claude Camus son producteur attitré ne lira pas ton Maxi-Flash ! Après le concert de la Meinau, Johnny a eu une envie de choucroute traditionnelle, alors que j’avais réservé Au Cheval-Blanc à Lembach chez Fernand Mischler. Il était tard, 4 heures du matin, Johnny voulait conduire la grosse Mercedes Benz V8 – 500 SL pour retourner au Hilton à Strasbourg. J’étais installé confortablement à droite de la star, son chauffeur dormait sur la banquette arrière, ses musiciens suivaient. Le repas avait été bien arrosé, il y avait du brouillard. Dans un virage assez prononcé vers Soultz-Sous-Forêts, Johnny dérape, il plante la Benz-Benz-Benz dans un ravin. Beaucoup de dégâts, mais pas de blessés. La voiture est restée là jusqu’au lendemain, les clés sur le contact, les musiciens nous ont ramenés à l’hôtel.
-Tiens, on arrive enfin à la Cour de Honau, après 1h45 minutes de footing. On s’installe, on reprend notre souffle, on boit une petite mousse ? Tu as eu une belle vie, dis-moi !
-Tu sais André, je cite souvent cette phrase : « On entre dans ce métier par hasard, mais on n’y reste pas par hasard ». J’ai rencontré tellement d’artistes, pendant mes quarante ans de carrière, j’ai eu de grands moments de bonheur, toujours dans cette spirale du Show-biz, de grosses galères aussi. J’ai gardé d’excellents contacts d’amitié avec plusieurs artistes, Goldmann, Bruel. J’ai passé ma vie à voyager sans penser à l’essentiel, je n’avais jamais le temps, je me suis marié sur le tard avec une femme formidable, Aurélie, qui m’a donné le plus beau cadeau de ma vie, une fille, Jade, qui est la prunelle de mes yeux. Je suis un jeune papa comblé, mon cher André.
-Tu devrais écrire un livre, tes mémoires, les coulisses de tes exploits en mettant en lumière toutes les stars que tu as croisées dans cette merveilleuse aventure. On se donne rendez-vous la semaine prochaine, même place, même heure, pour un autre footing, mon cher Bruno Eucat, et merci pour ton amitié de plus de trente ans, t’es un mec bien tu sais !
Soyez sages les Maxi-läser, à bientôt pour d’autres aventures dans un petit recoin de notre paradis alsacien.