Mais c’est surtout à Bergheim que je pense, aujourd’hui. À ses remparts du XIVe siècle, jalonnés de tours, à sa porte haute, aux meurtrières, aux encoches qui griffent la pierre, à toutes ces marques du passé qui semblent scruter l’humain qui lève le nez. À sa Grand’rue pavée, aussi, bordée de maisons à colombages aux jolies façades fleuries. Certaines d’entre elles étaient peut-être déjà là au moment de la terrible « chasse aux sorcières »… On se souvient que de nombreux procès avaient, à cette époque, été organisés, notamment à Rouffach, Molsheim, Ensisheim ou Colmar. Si certains hommes – et même des animaux ! – avaient été jugés, dans l’immense majorité des cas, les accusés étaient bien… des femmes, ou de jeunes filles.
Ici même, donc, de supposées sorcières ont été soupçonnées de fricoter avec le diable (dont on dit parfois, le saviez-vous, qu’il a une grand-mère alsacienne). Les malheureuses ont été accusées, jugées, presque toujours torturées jusqu’à ce qu’elles finissent par avouer ce qu’on voulait leur faire avouer. Ne restait plus alors qu’à les condamner et les exécuter sur le bûcher. Simplement, parfois, parce qu’elles sortaient du rôle traditionnellement réservé à la gent féminine. Pas mariées. Originales. Marginales. Trop savantes, par exemple dans le domaine des plantes qui guérissent. Ou simplement parce que les brûler était un excellent moyen de régler de vieux comptes, de solder fâcheries ou jalousies.
Merci, Louis XIV !
Voilà un roi de France qui a vraiment aimé l’Alsace ! Même s’il n’est pas vraiment sûr qu’il se soit écrié « Quel beau jardin ! » en découvrant sa nouvelle propriété, il a bien accepté d’y maintenir un certain droit local, et même fait preuve de tolérance envers les cultes protestants, ce qui n’était pas gagné. On se souvient que c’est sous son règne que Vauban a édifié des fortifications ici et là… On sait moins que le Roi Soleil est aussi à l’origine de l’interdiction des jugements de crimes de sorcellerie : bonne idée.

La maison des sorcières rend hommage aux victimes
Place de l’Église, la maison des Sorcières (Haxahus) a récemment rouvert ses portes (elle sera ouverte aux visiteurs jusqu’au 26 octobre prochain, consulter les horaires) ! Les salles de cette belle demeure, devenue musée, présentent sur trois étages la quarantaine de procès en sorcellerie tenus dans la commune entre la fin du XVIe et la fin du XVIIe siècle.
Effrayant, comme la pensée unique, le manque de tolérance, l’exclusion ont, littéralement, tué toutes ces femmes. Car si la figure de la sorcière telle qu’on la perçoit aujourd’hui (et pas seulement lors de la fête d’Halloween – enfin, je veux dire : de Samain) est plutôt sympa et même rigolote, on revient de loin.
En retrouvant l’air libre, on grimace un peu. Il n’est pas très glorieux, le souvenir de cette société en crise, marquée par la peur de l’autre, dont les membres, obsédés par l’ordre public, étaient si prompts à croire n’importe quelle fausse nouvelle, si prompts à condamner… Et puis, on secoue la tête, on toussote un peu, on se rassure, un peu sottement. On murmure :
« Heureusement, de nos jours… »
De nos jours… quoi ?
« De nos jours, enfin, on est quand même plus civilisé. » On prend un grand bol d’air et on se plonge dans l’admiration du vignoble. Tiens, on s’offrira tout à l’heure un verre du célèbre gewurztraminer de Bergheim. Mais d’abord, on ferait bien la balade sur le chemin des remparts ? C’est une petite trotte de deux kilomètres. On saluera la tour Deiss, celle de la Poudrière… et allez, même celle des Sorcières, mais, quand même, avec un petit pincement au cœur.