Tu te souviens de la Foire du livre de Saint-Louis, il y a deux ans ?
Oui, surtout qu’elle a été très importante pour mon histoire d’amour actuelle. J’y ai rencontré Tiffany Tavernier et nous avons lié une amitié. À ce moment-là, j’étais en train d’écrire Jachère. Ce livre est une mise au point sur les hommes de ma vie, mais c’est aussi lié à douze années de jachère après la disparition de mon mari. Je m’étais dit, j’écris et le jour où je rencontre mon prochain compagnon de route, j’arrête. Comme il n’arrivait pas, finalement j’ai terminé le livre, et c’est à ce moment-là qu’un homme est vraiment entré dans ma vie. Et c’est Tiffany qui m’a présenté cet homme.
Dans ton livre, on sent beaucoup de force. Je me dis qu’elle vient de ta famille, de ta conviction que l’art doit être au centre de tout. Non ?
Oui. Je suis constituée avec cette puissance-là. C’est comme ça. Même si je suis hypersensible. Forte et puissante, ça ne veut pas dire invincible. Je suis peut-être un petit peu insubmersible, mais je ne suis pas étanche. Chaque jour, il faut choisir entre la pulsion de vie et la pulsion de mort. Ma pulsion de vie est très forte.
Tu écris que tu es naturellement du côté de la vie, mais que le sentiment de solitude n’en est que plus grand…
Je trouve qu’il y a très peu de gens vraiment vivants, vraiment réveillés. Des gens qui sont aux aguets de la vie, qui vont vers leurs désirs. Sincèrement. La pulsion de vie c’est le désir, en fait. Y’a beaucoup trop de gens qui subissent, des gens qui courbent l’échine, qui acceptent, qui se résignent. Quand on trace sa route comme on l’entend, comme moi, ce qui n’empêche pas les obstacles au contraire, ça isole oui. On est très seul quand on
est comme ça.
La peur est un thème qui revient beaucoup dans ton livre, notamment quand tu parles à ta fille, au moment de la disparition de son père. Tu dis que la peur n’existe pas, qu’on la fabrique seul, qu’il faut la pulvériser.
Oui, je lui ai répété cela, comme un mantra du soir, quand elle avait des crises d’angoisses, ce qui était normal. Et ça me faisait du bien aussi. Quand une peur pénètre dans ma vie en général, je l’attrape par la gorge et je la dégage. Mais c’est sûr qu’il faut du courage.
Tu évoques aussi ton enfance, dans une famille humaniste avec des parents généreux et accueillants.
Ils m’ont donné le meilleur, le fait de donner du crédit à tout le monde. En même temps, ce n’est pas forcément le réel.
Ce qui m’a frappé dans ton live c’est aussi ta façon de croire à l’amour.
Mais, à fond. Bien sûr que j’y crois à chaque fois. J’ose y croire. Dans la vie, on a envie que de ça. Beaucoup d’hommes mettent en place des rapports de force, mais souvent par protection, ou par peur d’aimer. Et ils flinguent les possibilités.
Mais cela ne t’a pas entamée. Pour toi, le couple est une aventure, la plus folle et mystérieuse aventure à vivre sur cette terre.
C’est vrai, ce qui compte, ce qui restera le jour de notre dernier souffle, ce sont les gens que l’on a aimés, les émotions que l’on a gardées dans le cœur, pas les disques ou les livres.
Et cette pureté t’oblige parfois à quitter les hommes, et là, tu ressens une forme de libération, de douceur.
Quand l’histoire est décevante, il vaut mieux partir. Moi, je ne reste pas empêtrée dans une histoire qui ne marche pas pour éviter d’être seule. Sinon je perds mon âme.
Bon, avec le chanteur Prince tu n’aurais pas perdu ton âme ? Tu écris que tu aurais bien aimé coucher avec lui…
Je voulais que ce livre soit aussi une fantaisie, qu’il me ressemble. J’ai eu envie d’écrire un autoportrait, avec toutes mes facettes. Comme on essaye de capter l’air du temps, mon air du temps. Ça passait par une forme fantaisiste, fragmentée. J’ai imaginé les questions que l’on pourrait me poser, par exemple : Avec qui auriez-vous aimé coucher ? Je suis sûre que Prince était un bon coup.
Ton prochain album sort en novembre, tu peux nous en parler ?
Il ne sera composé que des reprises de génériques de James Bond. Parce que j’adore James Bond. Ça faisait longtemps que j’avais ça en tête, mais c’est devenu concret avec le confinement. Je me suis dit que tout ce qu’on fait dans ses films était devenu impossible : prendre un avion, être le matin à Shanghai et le lendemain à Istanbul, prendre des drinks au bar des palaces, alors je me suis dit que c’était le moment de faire ce disque, un peu comme si c’était post apocalyptique et que je me souvenais d’une époque.
Et toujours d’une manière indépendante. C’est ta liberté ?
Oui, quand tu es hors système, tu restes hors système. Moi, j’aime les aventures humaines. Comme pour mes livres. Envoyer un manuscrit à une grosse maison d’édition, ça ne m’intéresse pas. J’ai rencontré Médiapop à un concert au séchoir à Mulhouse. Nous avons beaucoup parlé. Leur point de vue est super intéressant.
Pour l’écriture, comment travailles-tu ?
Je travaille tout le temps. J’écris mon journal tous les jours. J’ai des caisses de notes chez moi. Ma vie est un travail et le travail est ma vie. C’est une matière. C’est vrai que dans Let go il y avait un côté exutoire, Alain était mort et j’avais besoin d’exprimer tout ça. Jachère est un autre travail, un travail plus long. C’était même parfois désagréable, mais c’était nécessaire, car c’est toujours la même pulsion qui m’anime. Je ne peux pas faire autrement. À un moment donné, il faut que je fasse quelque chose de tout ça, sinon je vais crever.
Pour finir, que sais-tu d’Alain Bashung et de l’Alsace ? Il t’en parlait ?
Oui. Je connais son enfance avec sa grand-mère dans le Haut-Rhin. La région n’était pas pour lui un très bon souvenir, mais il en avait gardé le goût pour la nourriture alsacienne. Moi, j’ai des liens avec l’Alsace, notamment avec des musiciens qui jouent sur mon album. J’ai souvent joué au Séchoir à Mulhouse. J’aime beaucoup l’énergie qu’il y a dans cette ville.