Dans votre livre, vous rappelez l’engagement des journaux comme Le Monde ou Libération dans les années 70 ; ils ont fait la promotion de la pédophilie avec des pétitions en faveur des relations sexuelles entre adultes et mineurs. Pendant près de 20 ans, cette position a dominé tous les débats sur la question, mais l’époque a un peu changé, non ?
Oui. L’opinion est en avance sur les décideurs, sur les politiques. À chaque fois qu’une émission est consacrée à la maltraitance des enfants, l’audience est très bonne. Le succès du livre Le consentement de Vanessa Springora, était totalement inattendu, comme celui de Camille Kouchner. Mais, quand on travaille sur les maltraitances infantiles, on constate que le niveau de perversité, de cruauté, comme le sentiment d’impunité des adultes à l’égard des enfants et sans équivalent. On ne traite pas les animaux comme ça ! Ce qui me frappe, je le dis toujours, c’est qu’il n’existe pas la même mobilisation pour les enfants maltraités que pour les animaux.
Vous dites que la France ne protège pas ses enfants, que notre pays n’aime pas ses enfants, que c’est le paradis des pédophiles. Ici, on maltraite les plus faibles.
On considère que ce n’est pas grave, que les enfants sont la propriété des parents. On considère que les enfants sont menteurs et pervers, c’est le drame du procès d’Outreau. Ce scandale dit tout. Lors des élections régionales et départementales, il n’y a pas eu un sujet sur les enfants. Il y a un truc très intéressant à propos de Lolita, le roman de Nabokov. L’auteur dit lui-même que le héros est une ordure et que Lolita est au contraire une petite fille extrêmement pure. En France, on dit que Lolita est une petite salope qui allume ce pauvre vieux qui n’en peut plus.
Ce combat que vous menez n’a pas commencé avec ce livre !
Je me suis rendu compte très vite que nous ne sommes pas assez attentifs aux souffrances des enfants, à ce que l’on doit leur donner. Le système français est absurde, avec la décentralisation on a tué les possibilités de gestion nationale. Par exemple, une famille d’accueil élève un enfant de zéro à trois ans, le père déménage et change de région, elle ne peut pas garder l’enfant. Du jour au lendemain, on le met dans une autre famille, comme un paquet. Tout le monde s’en fout et ces mômes sont fracassés. D’ailleurs, ce n’est pas très politiquement correct de le dire, je sors un petit peu du débat, mais quand on fait attention aux cas de délinquance et de terrorisme, quand on regarde les parcours, ils sont presque tous passés par la Ddass ou l’ASE (Aide sociale à l’enfance)… Donc, cela signifie que l’État n’est pas capable d’offrir une vie équilibrée à des enfants qui sont dans des familles dysfonctionnelles ou maltraitantes. Bien sûr il n’y a pas que ça, mais il y en a quand même beaucoup. Et puis, il y a cette espèce de folie qui consiste à reconstituer une famille même si le père est incestueux, alcoolique et violent, même si la mère est maniaco-dépressive…
Je dis non ! Il faut leur retirer l’enfant et le mettre à l’abri.
Justement, dans votre livre, il y a 19 propositions. Par exemple: Mettre immédiatement à l’abri l’enfant lorsqu’une maltraitance est suspectée. Désigner systématiquement un avocat pour l’enfant dans toutes les procédures le concernant. Initier un programme de recherche ambitieux en santé publique pour évaluer les impacts sur la santé des enfants confiés et développer de nouvelles pratiques professionnelles… Quand on lit ça, on se demande pourquoi elles n’existent pas encore.
S’il y avait un référentiel, une grille à disposition des profs, de l’infirmière scolaire… À un moment donné on voit ce qui se passe, on peut se rendre compte très vite si l’enfant est tombé beaucoup le mois précédent, s’il est absent souvent, s’il ne grossit pas, si ses résultats scolaires ne sont pas bons… Dans une classe de 30, il y a au moins deux enfants victimes d’inceste, et l’on n’a pas de méthode qui permettrait de dire qu’il y a un problème. Quant aux politiques, ils répondent souvent : je ne peux pas parler de cela à mes électeurs, c’est tellement horrible.
À quoi peut servir votre livre ?
À réveiller les consciences, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions. Michèle Créoff raconte que l’un des premiers dossiers qu’elle a traités est celui d’un couple qui avait prostitué son enfant de 9 mois. Il y a des gens qui sont prêts à payer pour ça… Il n’y a pas de limite dans l’horreur. Le marché de la perversion, à l’instar de celui des armes, rapporte gros. Je pense que la vraie prise de conscience peut venir de l’opinion publique. Le problème, c’est qu’il n’y a rien à gagner politiquement. Il faudrait des campagnes comme pour la prévention routière ou contre l’alcool, sauf que l’on n’en parle jamais. J’entendais encore l’autre jour quelqu’un dire que depuis le procès d’Outreau on sait que les enfants peuvent mentir… Non. Depuis cette affaire on sait qu’il y a des avocats qui sont des ordures et qui manipulent les journalistes.