Parisien d’origine, il quitte la capitale à 3 ans en 1947. L’homme qui l’a élevé étant dans l’Armée de l’air, il connaît la vie d’enfant de militaire et déménage souvent, quinze fois exactement. Il arrive à Haguenau après le BEPC, entre au lycée quand sa famille vit à Drachenbronn pendant trois ans, avant de s’installer à Strasbourg ou il fera maths sup et maths spé au lycée Kléber. Il obtient un doctorat. Après avoir mené des recherches au CNRS de 1971 à 2014, il devient professeur à l’université et remporte le prix Nobel de chimie 2016 pour son travail sur les machines moléculaires.
Quels souvenirs gardez-vous de votre période à Haguenau ?
Une très belle impression, j’y ai passé de bons moments et je suis souvent revenu à Haguenau pour me promener dans la ville qui est devenue très belle, pour aller dans les musées. Le lien n’a jamais été rompu. J’ai découvert la liberté et l’amitié à Haguenau. J’étais interne au lycée et l’ambiance était très bonne, contrairement aux autres établissements que j’avais connus pendant toute ma jeunesse. C’étaient les années 50, entre disciplinaire et militaire, mais Haguenau, c’était l’ouverture, l’épanouissement. D’un seul coup, j’avais le droit de sortir avec mes copains, on allait au théâtre… Par la suite, Strasbourg m’a beaucoup plu, j’en avais vraiment ras le bol de bouger d’un endroit à un autre.
La science vous intéressait déjà ?
Oui, les maths surtout, mais je lisais beaucoup, beaucoup de littérature, des auteurs américains comme Steinbeck, Caldwell, des choses comme ça, je lisais des dizaines de bouquins par an.
J’ai envie de vous poser une question que l’on vous a posée sans doute un millier de fois, mais la réponse peut varier en fonction du temps qui passe, ce prix Nobel, il a changé votre vie ?
Je n’étais pas encore retraité, j’avais un vague projet de vie, je voulais diminuer petit à petit l’intensité de mes activités.Avec le prix Nobel c’est devenu totalement impossible. Il a complètement boosté mon emploi du temps, avec de nombreuses conférences, des séminaires. Deux ans plus tard, mon emploi du temps est encore plus chargé. J’aime beaucoup communiquer avec les étudiants, des lycéens, des collègues et en même temps, je me dis qu’il faut être raisonnable, c’est-à-dire accepter une certaine proportion d’invitations et en refuser une proportion croissante. J’aime raconter la science que mon labo a créée, je le fais avec enthousiasme, car je suis enthousiaste.
C’est une façon de transmettre ?
Pas seulement, c’est aussi du militantisme. On vit dans un monde où la science est assez mal considérée. L’opinion prévaut parfois sur le fait expérimental. Il y a un côté militantisme de la science, de la rigueur, du rationalisme, j’essaye de remettre les choses à leur place. De diminuer le nombre d’imbécilités que l’on peut trouver sur internet et qui se transmettent, même par la presse.
Que vous inspire l’état du monde aujourd’hui ?
Je suis un peu égoïste, alors le monde a le droit de vivre sa vie et j’ai le droit de vivre la mienne. Il y a des endroits où elle est belle et d’autres où elle est pourrie. Mon inquiétude principale est le manque total de contrôle de la démographie, la planète n’aura pas les moyens de faire vivre une vie normale à tout ce qui respire aujourd’hui, humains compris.
Qu’est-ce qui vous rend heureux ?
La vie continue à être belle pour un ensemble de gens, la connaissance continue à être diffusée, parfois de manière assez perverse et distordue, mais bon, quand on fait le bilan c’est quand même positif. L’art me plaît, j’aime le beau. Quand je voyage, s’il y a un musée ou une expo, là où je me trouve, je prends le temps d’y aller.
De quoi êtes-vous le plus fier ? Et vous n’avez pas le droit de me répondre le prix Nobel !
Professionnellement, c’est d’avoir travaillé avec toute une équipe dans des conditions amicales, peu hiérarchiques, et d’avoir obtenu des réussites scientifiques, collectivement et dans la bonne humeur.