lundi 1 septembre 2025
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L’aspidistra dit « Metzjerkrüt » Ma quête autour de la « plante des bouchers »

Qui se souvient encore que cette plante d’un vert profond et luisant trônait autrefois à l’avant des vitrines des bouchers, tranchant avec le rose des viandes et des charcuteries ? C’est pour cela qu’on la nomme plante des bouchers, « Metzjerkrüt ». Longtemps je l’avais oubliée. Et elle revint à ma mémoire.

Cette plante d’intérieur robuste, avec sa forme de touffe dense et une allure de feuilles géantes de muguet, réputée increvable, était l’unique présente dans ma maison d’enfance. Posée dans la salle à manger, elle supportait le froid de l’hiver et les volets fermés de l’été. Et elle nécessitait peu d’arrosage, ce qui évitait les auréoles sur les meubles cirés. La même plante se retrouvait d’ailleurs dans les autres maisons du village dans les années 60, à une époque où la ruralité ne pouvait s’encombrer de plantes fragiles.

Cette plante avait disparu de mon environnement depuis bien trente ans. J’ai repensé à elle en 2016, en me trouvant chez un médecin nommé Metzger. Il avait de grandes plantes vertes dans son cabinet. Je lui ai dit qu’avec son nom qui signifie boucher (que l’on prononce Metzjer en alsacien), il lui faudrait la plante des bouchers, dite Metjzerkrüt. Cela l’intrigua et le toucha, car il était petit-fils de boucher. «Et comment appelle-t-on cette plante en français ? » me demanda mon interlocuteur. Je suis restée sans voix. Aucun nom ne me venait. Le hasard me fit regarder peu de jours après Le juge et l’assassin, film de 1976 de Bertrand Tavernier avec Philipe Noiret et Michel Galabru. Dans une scène tournée dans un intérieur bourgeois de Savoie, dans laquelle Noiret parle avec sa mère, j’ai aperçu «ma plante» placée dans l’encadrement de fenêtre. J’ai photographié l’écran. J’ai alors commencé les recherches dans les encyclopédies de plantes et j’ai trouvé son nom : « aspidistra », un nom masculin – et non féminin comme on pourrait le supposer -.

Sa feuille épaisse en forme de fer de lance est parfois utilisée dans les bouquets de fleuristes. / ©DR

C’est une plante de la famille des «liliacées», comme la tulipe, la jacinthe ou le muguet. Venue du Japon, d’où elle fut introduite en Europe en 1835 pour son beau feuillage, elle était très en vogue à la fin du 19e siècle et au 20e siècle avant de tomber en désuétude, voire dans l’oubli total. Le texte précisait que cette plante retrouvait aujourd’hui son intérêt par son extraordinaire résistance aux conditions les plus difficiles. Un sol ingrat, un éclairement réduit ou minimum, des arrosages presque inexistants ne la freinent en rien.
J’ai découvert qu’on l’appelait aussi «plante de belle-mère », et qu’elle était parfois désignée (à tort) comme « langue de belle-mère » (un terme qui désigne en fait une cactée aux feuilles longues à la pointe piquante).
J’ai souhaité retrouver un aspidistra comme du temps de mon enfance. Je me suis renseignée auprès de divers horticulteurs. Aucun n’était en mesure de me fournir cette plante « avec ses racines ». Les fleuristes utilisent parfois ses feuilles coupées pour ajouter de la verdure aux bouquets, mais retrouver un exemplaire avec racines ne semblait guère aisé. J’ai alors lancé un appel sur ma page Facebook et obtins des réponses par dizaines. Les internautes se souvenaient d’elle et m’apportèrent des commentaires passionnés. Ainsi Martine m’a précisé que pour elle cette plante était réellement associée à ses grands-parents : elle poussait dans leur jardin en Algérie. Et puis, Christiane m’a écrit d’Espagne où elle passait ses vacances pour me préciser ceci : dans la région de Valencia toutes les maisons ont cette plante associée à une fougère posée de chaque côté de la porte. Une Strasbourgeoise vint m’apporter à France Bleu Alsace (radio où je travaillais alors) un plant qu’elle avait prélevé du sien, car la plante dispose d’un système racinaire en rhizome, que l’on peut diviser. Marie-Claire m’écrivit que cette plante se trouvait dans un des couloirs du tribunal de grande instance de Saverne et qu’elle en prenait soin depuis 27 ans.

Dessin d’une coupe d’aspidistra par Edward Step. / ©dr

En mai 2017, je partis à Rome. En entrant dans un parking près de la Piazza Navona, je vis que certains balcons donnant sur la cour intérieure étaient garnis d’aspidistra. Dans la foulée, j’ai sillonné les Abruzzes et, en m’arrêtant dans la jolie bourgade d’Atri, je vis que des aspidistra étaient présents dans l’église de San Liberatore. Je les ai photographiés avec mon smartphone. Au retour de ces vacances, j’eus la surprise de trouver un aspidistra sur mon bureau à France Bleu Alsace. C’était Jean-Michel Obrecht, le maraîcher de Handschuheim, invité fréquent de mes émissions radio, qui a créé depuis lors sa boutique « Ma ferme en ville » à Strasbourg, qui me le transmettait de la part de Fabienne Minker, une fleuriste d’Oberschaeffolsheim. Cet aspidistra était d’une variété mouchetée.

J’ai partagé son rhizome et ai offert une moitié au docteur Metzger, petit-fils de boucher, qui avait initié ma quête autour de cette plante. Depuis, lorsque je le croise, il me donne des nouvelles de « notre » plante, comme on le ferait pour un membre de la famille. Il prend bien soin de son aspidistra, allant jusqu’à le bassiner de temps à autre.
« Ta plante de boucher se porte à merveille », me dit-il à chaque rencontre. Et sa phrase, à chaque fois, me met la joie au cœur.

L’info en plus

L’aspidistra, jolie plante verte de nos grand-mères, très appréciée à la campagne pour sa robustesse et sa simplicité d’entretien, a garni les premiers jardins d’hiver. Elle reste idéale à cultiver dans la plupart des pièces de la maison, pour apporter un agréable volume végétal. Elle retrouve aujourd’hui son intérêt pour sa résistance aux conditions les plus difficiles. Elle résiste aux fumées de gaz et de tabac, aux atmosphères sèches, aux brusques changements de température et aux manques de soins. Elle apprécie l’ombre comme la lumière, mais déteste être exposée en plein soleil.

Les Allemands la désignent sous ces termes :
Metzgerpalme (palme du boucher)
Schusterpalme (palme du coordonnier)
Schildblume (fleur-bouclier)
Schildnarbe (cicatrice du bouclier)
Eisenpflanze (plante de fer).
Cette dernière dénomination est aussi utilisée en Angleterre où elle s’appelle iron plant.

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