En alsacien, on nomme le mur païen d’Hëidemür (die Heidemauer en allemand). Le mot porte la beauté, l’étrangeté, l‘envoûtant de cette enceinte qui suscite livres et débats sans que l’on puisse s’accrocher à une vérité tangible. De quand date ce mur ? Ses origines restent indéfinies. Des recherches archéologiques récentes évoquent le VIe et le VIIe siècle. Pourquoi ce mur ? Là aussi plusieurs versions sont sujettes à débat.
Une zone de défense, un enclos à bétail, un lieu de culte ?
Dominique Herrmann, enseignant à Mulhouse, amateur du lieu sans en être spécialiste, penche pour la version d’enceinte cultuelle plutôt qu’enceinte défensive. Il raconte sur son blog l’émotion qu’il a vécue en découvrant le mur pour la première fois. C’était en décembre 1986 et il avait 19 ans : « Il était 19 heures. Je rentrais de Strasbourg avec mon frère qui m’avait pris avec sa voiture à la sortie du lycée. Dans la journée il avait neigé puis le ciel s’était entièrement dégagé.
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On pouvait encore apercevoir çà et là quelques plaques de neige sur les bas-côtés de la route. La nuit était froide, d’un froid mordant qui vous dégage le nez à chaque inspiration. Plus un nuage ne venait perturber la clarté de la lune quasi pleine jetant sa lueur sur le monde. Au loin on pouvait apercevoir les Vosges, monts arrondis sombres, se détachant du ciel plus clair et lumineux. Et si nous faisions un détour par le mont Sainte-Odile ? Nous avions du temps devant nous, la route dégagée et le ciel clément. La montée s’avéra très rapide. Nous nous arrêtâmes sur un petit parking. « Mur païen à 100 m » était écrit sur un vieux panneau. Mur païen ? Qu’était-ce donc ? Je n’en avais jamais entendu parler ! En éteignant les feux, nous fûmes projetés dans la pénombre de la forêt, le temps que nos yeux s’habituent. Pas un son, pas un bruit.
Tout semblait s’être arrêté. Quelques pas dans la neige avec un son étouffé. Nous étions seuls, juste accompagnés de la lune qui projetait une lueur faible entre les arbres dénudés. Après quelques dizaines de mètres, je l’ai vu, long et massif, silencieux et immobile. Le jeu des ombres et lumières lui donnait un air presque effrayant. Il en émanait quelque chose de grandiose. C’était le mur, enceinte de pierres ancrée là depuis des siècles, bâti par des êtres dont la trace se perd dans la nuit de l’histoire de cette montagne. Serpentant à travers la forêt, nous l’avions suivi sur quelques centaines de mètres pour aboutir sur le rocher du Maennelstein, splendide promontoire qui s’avance sur la plaine d’Alsace. Le froid mordant, le silence absolu, la lueur discrète de la lune amplifiait l’impression que nous nous trouvions en un endroit sublime, voire sacré, que cette enceinte délimitait.
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Ce fut une révélation, un coup de foudre, il fallait que je sache plus de ce lieu, de ce monument mégalithique et du mystère qui s’en dégageait. C’est alors que commença ma quête. J’y suis revenu à maintes reprises : par beau temps, pluie, brouillard, neige, de nuit. Jamais ce ne fut pareil, toujours j’ai eu l’impression que l’endroit avait quelque chose de particulier. Et à ce jour je n’ai toujours pas trouvé ce qui me capte lorsque je me promène le long de cette enceinte qui n’a révélé que peu de ses secrets. »
Cette énigme archéologique a souvent subi l’outrage des humains, parfois sans limite dans l’irrespect, l’interdit, la cupidité et la bêtise. Ainsi des blocs de pierre furent arrachés, volés, parfois abandonnés. Le mur païen est classé au titre des Monuments historiques. À l’issue des fouilles archéologiques menées de 1991 à 1994, un programme de restauration, en partenariat avec l’État, le Conseil général et avec la Région Alsace a été engagé. Mur de culte ou mur de défense ? Le mur païen doit, coûte que coûte, être sauvegardé tant sa construction est exceptionnelle. Il est le témoin d’un travail titanesque de bâtisseurs. Il continue à faire rêver les chercheurs. Son mystère impressionne. Et l’on souhaiterait que jamais son secret ne soit percé.
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Les infos en plus
Le Mur païen se situe sur le massif du Mont Sainte-Odile, en Alsace près d’Obernai, de Barr et d’Ottrott. Il fait partie du massif des Vosges et fait face à la Forêt Noire. Il s’étend sur près de 11 kilomètres. Il a une largeur comprise entre 1,60 et 1,80 m et peut atteindre 3 mètres de hauteur. Il est formé d’environ 300 000 énormes blocs irréguliers dits
« cyclopéens » qui sont liés par des tenons en bois à double queue d’aronde. Un sentier permet aux visiteurs d’y faire de belles randonnées en suivant le balisage du Club Vosgien.
L’historienne Marie-Thérèse Fischer s’est passionnée pour ce mystère archéologique et a écrit Le mur païen du Mont Sainte-Odile (Éditions du Signe).
Blog de Dominique Herrmann : www.mur-paien.fr