lundi 30 septembre 2024
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Les quetsches séchées d’gedìrrte Quatschle

J’aime me souvenir des quetsches séchées que nous placions, droites comme des sentinelles, les unes adossées aux autres, sur des clayettes en bois portées chez le boulanger.

Dans mon enfance, la déshydratation était une méthode encore très usitée pour conserver les fruits des vergers, qu’il s’agisse de tranches de pommes ou de poires (Äpfelschnìtz oder Bìreschnìtz). La dessiccation allège les fruits et permet de les ranger ensuite dans des sacs de tissus que nous accrochions au grenier, à un fil de fer placé haut afin que les souris ne puissent pas l’atteindre. Nous avions des clayettes de grande taille qui ne pouvaient entrer dans un four de particulier. Il fallait celui du boulanger, Félix Walter, qui les glissait après la cuisson du pain, dans son four à bois encore tiède. Il refaisait de même pendant plusieurs jours. Après une semaine, les quetsches avaient perdu leur couleur violette pour un bleu proche du noir. Elles avaient aussi perdu leur forme lisse et affichaient une mine ridée, avec des marques blanches dans les encoignures, dues à la cristallisation du sucre naturel.

Les quetsches séchées sont utilisées durant l’hiver. Il suffit de les tremper dans l’eau pour qu’elles reprennent leur forme initiale. Cuites dans un sirop léger, elles accompagnent avec gourmandise les quenelles de semoule ou permettent de faire des gâteaux comme le Hurzelknopf. Elles peuvent aussi, une fois dénoyautées, être cuites puis réduites en purée. Elle constitue alors une compote parfumée, qui peut remplacer la confiture de quetsches dans le gâteau d’origine autrichienne, dit Linzertorte. Il est une recette que l’on trouve notamment en Alsace Bossue et dans le nord de l’Alsace, où elle est servie lors des fêtes paroissiales. Cette tarte à base de quetsches séchées, nommée Kìrweküeche, peut être confectionnée en toute saison. Dans sa dénomination alsacienne, le mot Kirwe désigne la fête du village, également nommée Messti ou Kìlb (en allemand Messtag et Kilbe). Sa recette me fut livrée dans les années 1980 par Madeleine Stoebner de Diemeringen. Cette tarte peut être confectionnée en toute saison. Les quetsches sont passées au moulin, additionnées de sucre, de crème fraîche, parfois d’un peu de compote de pommes et sont parfumées à la cannelle. Cette tarte est originale à plus d’un titre : sa pâte est à base de levure de boulanger et, à l’inverse des pâtes de ce type, elle ne doit pas reposer dans un endroit tempéré́. Il faut, au contraire, la mettre au réfrigérateur pendant 1 à 2 heures. C’est la raison pour laquelle elle est appelée kàlter Teig (pâte froide). Yolande Haag avait choisi cette recette extraite de mon livre « Les meilleurs desserts d’Alsace », pour l’émission Zuckersiess dont elle fut l’invitée en janvier 1994. Yolande est originaire d’Alsace Bossue, de Harskirchen dont son père, le sénateur Louis Jung était aussi maire. Avant de devenir, aux côtés de Michel Haag, l’âme de la brasserie Meteor de Hochfelden, cette diplômée de l’école hôtelière de Strasbourg, excellait dans l’univers des saveurs et avait créé, à 19 ans, le restaurant La grange aux paysans à Hinsingen. Yolande témoigne donc une affection particulière à ce gâteau d’enfance, décoré avec des bandelettes de pâte disposées en croisillons (comme pour la Linzertort) et dorées au jaune d’œuf à l’aide d’un pinceau.

La linguiste Danielle Crévenat-Werner, également originaire d’Alsace Bossue, connaît bien cette recette. « Ma grand-mère en réalisait toujours plusieurs, dit-elle, car c’est une tarte qui se garde plusieurs jours. On peut aussi la faire avec une pâte feuilletée qui donne un dessert d’une extrême finesse. Ma préférence va à la pâte brisée (‘s Mìrweteig) ». Danielle précise que cette tarte est encore servie lors des fêtes paroissiales, en dessert, après un repas festif qui commence par le bouillon du pot-au-feu servi avec des quenelles de moelle, suivie de la viande et des légumes du pot-au-feu, avec son cortège de crudités, puis d’une volaille, du plateau de fromages, et enfin de cette tarte. « Bien manger et boire garde en harmonie le corps et l’âme », dit le dicton. Güet asse ùn trìnke hàlt Lib ùn Seel z’sàmme.

Illustration de Hansi extraite du livre Mon village, ceux qui n’oublient pas.  / © Musée Hansi ColmaR

L’info en plus

Comme la tarte aux quetsches séchées se conserve plusieurs jours, on en réalisait plusieurs que l’on apportait au boulanger qui les cuisait dans son four. Cette scène est représentée dans cette illustration extraite du livre Mon village de Jean-Jacques Waltz, alias Hansi.

Des enfants traversent le village en petite procession pour porter ces tartes aux quetsches séchées au four du boulanger. La scène se passe sans doute dans le nord de l’Alsace, car un des garçons porte la toque en fourrure, comme celle portée à Hunspach et Seebach. Les enfants sont précédés par un chien qui veille au grain, « puisqu’il faut être vigilant, car les oies sont gourmandes », écrit Hansi. Cette saynète contiendrait la sérénité parfaite s’il n’y avait un grain de sable que l’artiste colmarien a glissé dans cette illustration. Il s’agit de l’enfant allemand, dans un accoutrement ridicule, qui mange un morceau de pain noir, en regardant avec envie cette joyeuse bande dont il est exclu.

Né dans une famille très francophile en 1873, deux ans après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Empire allemand suite à la défaite française lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, l’artiste, marqué par un profond sentiment anti-germanique, maniait la caricature avec férocité.

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