Vous avez commencé votre carrière comme journaliste avant d’aller vers le métier d’écrivain, ressentiez-vous le besoin de fuir la réalité pour la fiction ?
Michel Lambert : Dès le début, j’avais envie d’écrire pour moi, mais j’éprouvais cette difficulté de n’avoir pas assez vécu. Je crois qu’il faut lire, lire, lire, aller à l’école des grands maîtres en toute humilité. Le journalisme m’a permis de rencontrer pas mal d’écrivains ou de comédiens, et ça m’a donné des références pour plus tard. J’ai publié une première nouvelle dans Le monde, c’était un bel encouragement, puis un premier recueil en 1987. Au début j’écrivais comme un nouveau riche, qui voulait montrer qu’il écrivait bien, or écrire bien n’est pas bien écrire, loin de là.
Aujourd’hui, avez-vous encore d’autres activités ?
Je fais des ateliers d’écriture depuis une trentaine d’années dans des lycées, à l’université, des bibliothèques, en France aussi et dans le milieu carcéral ou en santé mentale. J’ai été très marqué par la souffrance des participants psychotiques, c’est une expérience importante, difficile, il faut fermer la porte en quittant le centre.
Le personnage de Raya, qui est autorisé à quitter provisoirement son hôpital, s’inspire peut-être d’une de ces rencontres ?
Il se trouve que je me suis beaucoup intéressé aux écrivains américains de la génération perdue, dont Scott Fitzgerald. L’auteur de Gatsby le magnifique est une sorte d’icône, mais qui vivait une vie dissolue, excentrique. Il était marié à une femme intelligente qui a fini par être internée pour psychose, Zelda. Avec la grande crise de 1929, la carrière de Fitzgerald est tombée peu à peu, et ils étaient séparés par des milliers de kilomètres. Ils ont décidé de se retrouver, à Cuba, pendant cinq ou sept jours qui ont été abominables, parce que Scott n’a pas dessoûlé et provoqué des bagarres du matin au soir. Ces jours qui étaient prometteurs n’auraient-ils pas pu déboucher sur autre chose ? Voilà le démarrage du roman…
Pourquoi est-ce devenu un roman plutôt qu’une nouvelle ?
La première phrase devait être celle d’une nouvelle, c’est « L’homme qui me ressemblait… », elle était flottante, mais je ne parvenais pas à l’utiliser. Quand j’ai commencé ce livre, je ne savais pas du tout où j’allais, je ne fais jamais de plan, et c’est le sujet qui choisit la nouvelle ou le roman. Ce qui m’intéresse, c’est de me raconter à moi l’histoire, et de me laisser surprendre par les personnages, comme si je prenais des auto-stoppeurs sur la route. Je pense qu’on écrit avec la main invisible du subconscient et d’autre part, avec la main rêveuse de la poésie.