mercredi 4 juin 2025
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Mon après-midi chez la Tzigane Louise Pisla Helmstetter

Louise Helmstetter, dite « Pisla », décédée en juin 2013, était une figure emblématique de la communauté tzigane alsacienne. Auteure d’un livre et réalisatrice d’un film sur la culture tzigane, elle a consacré sa vie à faire connaître l’Histoire de son peuple. Elle m’a invitée pour la communion de sa petite-fille France Raïssa, à l’Ascension, le 1er juin 2000, dans sa maison à Barr, où elle s’était sédentarisée après une vie nomade.

J’ai fait sa connaissance pour la préparation d’une émission télévisée de la série Sür un siess, dans laquelle elle expliqua comment elle préparait la poule à sa façon, qu’elle servait avec des Knepfle (des quenelles de farine). Elle avait aussi montré dans l‘émission comment elle réalisait d’épaisses crêpes dans sa marmite en fonte qui voyageait avec elle depuis des décennies. C’était peu avant qu’elle parte, comme chaque année, portée par une foi puissante, pour le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer où elle retrouvait la grande famille de Tziganes et où elle entrait dans la mer pour suivre la statue. Le courant était bien passé entre nous. Elle m’a téléphoné quelquefois et m’a invitée pour cette fête de famille. Je me suis rendue chez elle dans l’après-midi. Un soleil radieux baignait le vignoble. Beaucoup de voitures étaient garées autour de sa maison à colombages orangée. La fête se déroulait dans le jardin et dans la maison. Des hommes jouaient aux cartes à une table. À une autre table, des femmes et des hommes discutaient de la mort d’une jeune tzigane de 20 ans, et consolaient le grand-père en larmes.

Des garçons et des filles jouaient à la guitare et au violoncelle. Louise était assise sur un banc, à l’ombre. Ses cheveux poivre et sel tombaient sur ses épaules. Elle a fait avancer un tabouret afin que je m’asseye à côté d’elle. J’ai gardé de cette après-midi une impression de quiétude. Le soleil jouait dans les haies et les arbres. Trois chiens à long poil noir s’étalaient au soleil en poussant des soupirs d’aise. Louise avait posé dans son jardin des pierres en rond pour allumer au centre des feux de bois. « Les feux de bois me relient à l’enfance, je ne peux pas m’en passer. Il me faut voir des braises. D’ailleurs dans la maison aussi, il faut que je regarde le bois brûler par la porte vitrée du fourneau. Le feu, c’est le plus beau spectacle. » Elle était rieuse : « J’ai un surnom : “Lachmund”, ce qui veut dire  « bouche qui rit ». Et je fume comme un pompier, je roule mes cigarettes depuis l’âge de 13 ans ».

Cette photo de Louise, faite aux Saintes-Maries-de-la-Mer par Frantisek Zvardon, est celle de la couverture de son livre Sur ces chemins où nos pas se sont effacés. / ©La Nuée Bleue, DR

Très attachée à la langue alsacienne et à la culture tzigane, elle me raconta des souvenirs forts de son enfance, dans la roulotte tirée par des chevaux. « Nous étions souvent dans la région d’Uhrwiller où je suis née, et en Alsace Bossue. Mon père y jouait du violon. Nous sommes une famille de musiciens. Mes trois oncles étaient musiciens. Mon frère guitariste est le papa du compositeur-musicien Marcel Loeffler. Être au contact si proche de la nature est une sensation magnifique. Le matin, j’aimais marcher dans l’herbe mouillée pour laver les pieds. Rien ne rend les pieds aussi doux que la rosée. Je me souviens de toutes ces cigognes qui marchaient dans les prés. Je les suivais en chantant. J’avais une telle sensation de liberté. J’ai vécu des évènements aujourd’hui disparus : le gardien de cochon (« de Soïjhìrt »), le gardien d’oies (« de Gansehìrt »). J’aimais même marcher pieds nus en plein hiver, d’une roulotte à l’autre. J’étais toujours assise à l’arrière, là où se trouvait le bâton de bois qui servait de frein. Dès que je voyais quelque chose d’intéressant dans un pré, j’y allais et je rattrapais ensuite la roulotte. Hier matin je me suis surprise à chanter un air appris dans l’enfance et que j’avais oublié depuis des décennies. Je pense beaucoup au passé et aux disparus ces jours-ci. Cette maison était autrefois un bistrot, alors je ne cesse d’imaginer les conversations qui se déroulaient ici. Je devrais plus penser à l’avenir, mais je ne peux pas. Si son mari vivait encore, il y aurait eu le double d’invités : 80 au lieu de 40 ».

Elle m’a servi du café avec un morceau de biscuit. Nous avons évoqué son jardin où s’épanouissaient du romarin, des roses, de la bourrache, et « une herbe rapportée de Jérusalem par une amie ». Elle disait qu’elle devinait ce qui allait arriver aux gens, même en les voyant de dos. L’atmosphère dans ce jardin était de grande douceur.

Photo de Louise, jeune femme. / ©ina.fr

De la chambre de l’étage aux fenêtres grandes ouvertes parvenaient des sons de guitare. « C’est mon petit-fils Raïlo qui joue », a-t-elle précisé. Se doutait-elle de l’admiration qu’il vouait à sa grand-mère, tout comme Enge et ses autres petits-enfants ? Le 13 mai dernier, Raïlo, guitariste et compositeur l’a honorée sur scène avec le spectacle La Maison des Souvenirs et le quartet Djiben, au Diapason de Vendenheim lors du Festival des Éphémères. Louise me montra sa salle à manger : elle aimait pousser la table contre le mur pour laisser au centre un espace de rassemblement. Ainsi, les musiciens pouvaient répéter et les jeunes pouvaient s’entraîner pour danser. Au mur était accrochée une photo de Yehudi Menuhin, qu’il lui a dédicacée avec ces mots : « À la mère de nous tous ». Il était venu lui rendre visite dans sa maison à Barr en 1995 et l’invita à venir à Bruxelles pour qu’elle assiste à un de ses concerts. Elle me montra sa vaisselle de fête, offerte pour son mariage par ses beaux-parents. C’était de la porcelaine de Sarreguemines avec un liseré fin et de petites fleurs bleutées.

Elle m’a accompagnée jusqu’à l’auto, m’a dit qu’elle avait posé le bouquet de fleurs des champs – que lui avait offert la fleuriste Cathy Ehrhardt lors de l’émission télé – sur la tombe de la jeune fille de 20 ans, au cimetière de Sparsbach. Sa petite-fille communiante m’a offert une image sainte. Des femmes s’étaient mises à la fenêtre par curiosité pour voler des bribes d’ambiances venant de chez Louise.
Je suis repartie en voiture, roulant avec le toit ouvert. Le long de l’autoroute, les coquelicots en fleurs décochaient des clins d’œil flamboyants.

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