Cette rencontre eut lieu le 26 février 2008 à l’hôtel Holiday Inn (devenu Mercure) à Strasbourg. Le photographe Frédéric Godard souhaitait réaliser une exposition de photos nommée Contrastes d’Alsace dans laquelle il réunissait des « duos inattendus ».
J’avais eu l’occasion à quelques reprises de rencontrer Biréli Lagrène, ce guitariste d’exception, enfant manouche qui a grandi à Soufflenheim dans une caravane et qui est devenu à 14 ans un prodige de la guitare et un guitariste de jazz internationalement connu.
La première fois, il n’avait que 10 ans. Jean-Claude Zieger, qui fut mon collègue (en radio et télé, après l’avoir aussi été aux DNA), m’avait annoncé en 1976 avoir trouvé un « prodige ». Il amena en studio quelques jours plus tard un garçon aux cheveux bouclés accompagné d’adultes munis de leurs guitares. Ils apportèrent une sauvagerie bienvenue au studio 13, situé au deuxième étage de la place de Bordeaux où se trouvait alors la radio. Nous sommes restés perplexes devant la dextérité et la fibre musicale de cet enfant.
Dix-sept ans après, en novembre 1993, alors qu’il avait déjà fait quelques tournées internationales, notamment avec Jaco Pastorius, Stéphane Grappelli, Aldi Meola et Larry Coryell, je repris contact avec Biréli pour lui demander d’être mon invité dans la série Zuckersiess que je présentais avec le maître-pâtissier strasbourgeois, Christophe Meyer. Il participa aussi à mon livre À la table de Simone (La Nuée Bleue) en 1997.
Je revis Biréli Lagrène le 26 février 2008 pour cette séance photos. Il fut charmant et, comme d’habitude, peu bavard : la communication l’ennuie tout comme de devoir poser devant un objectif. Nous pensions que la séance photo était terminée lorsque Frédéric Godard prit encore quelques photos sur le vif. Il demanda à Biréli de sourire, ce qu’il ne fait pas aisément sur commande. J’ai dit : « Pour te faire rire, Biréli, je pourrais te chatouiller ». Cette phrase le fit éclater de rire. Et voilà la photo de cette seconde-là. Elle fut la dernière prise et c’est celle que Frédéric Godard retint pour son exposition.
L’exposition fut inaugurée en mai 2008 à l’hôtel Holiday Inn. Je venais d’enregistrer en face, à France 3 Alsace, une émission avec Mariette et Jean-Georges Pflimlin, des Sundgauviens qui avaient restauré à Hundsbach un moulin à grains. Cette émission était la dernière avant les grandes vacances. J’ignorais alors qu’elle serait la dernière de Sür un siess, la série de treize ans, même si des rumeurs de suppression circulaient, démenties par la direction.
Quatre mois plus tard, j’écrivais le livre Adieu Sür un siess (Le Verger Editeur) pour raconter cette lamentable histoire. J’ai demandé à Frédéric Godard si l’une des photos qu’il avait faites de moi, sans Biréli Lagrène, pouvait illustrer la couverture du livre. Il en convint et c’est ce qui advint.
Lorsque, dans la foulée de cet échange téléphonique de 2008 avec Frédéric Godard, j’ai allumé la radio, j’entendis une interview de Françoise Hardy qui racontait sur France Inter quels étaient les deux moments les plus forts de sa vie : elle plaçait en premier la naissance de son fils Thomas et en second le coup de fil de Biréli Lagrène lorsqu’il l’appela pour lui annoncer qu’il voulait que Thomas Dutronc parte avec lui en tournée internationale. Françoise Hardy avait d’abord songé à une blague, tant elle ne pouvait croire que le « grand Biréli » ait songé à un « gadjo » pour l’accompagner. C’était en 2008. Depuis lors, Thomas Dutronc a bâti sa carrière.
Biréli Lagrène continue à briller par son excellence. Et Frédéric Godard a quitté Strasbourg pour installer son studio à la campagne, à Niedermodern où il mène essentiellement des travaux publicitaires.