lundi 8 septembre 2025
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Sur les épaules des géants alsaciens

En Alsace, on aime voir les choses en grand ! Et quand on rêve, c’est en XXL. La meilleure preuve, c’est notre cathédrale qui fut longtemps le plus haut de tous les monuments d’Europe. Alors, forcément, des histoires de géants, on en a quelques-unes.

Attention, on ne parle pas ici de géants de pacotille, de gros bonshommes verts qui élèvent des épis de maïs ou qu’on gonfle avec de l’hélium pour amuser les petits marmots à la fête du village. Le géant alsacien, il en impose… parce qu’il peut être doté de neurones autant que de muscles. En ce qui concerne le neurone, on évoquera sans hésiter les habitants du château du Nideck – dont il ne reste aujourd’hui hélas que des ruines. Il était une fois un père, colosse montagnard, et sa fille, en goguette dans la vallée, qui ramassa un petit bonhomme en train de labourer son champ. Enchantée, ravie, elle courut le montrer à son papa en mode “Regarde ce drôle de jouet que j’ai trouvé !” Et là, le père géant de répondre (en substance) de sa grosse voix : “Ce n’est pas un jouet, mon enfant, mais un être humain. Et tu ferais mieux de le laisser travailler en paix si tu veux encore manger du pain demain.” Morale agricole, dimension écologique, sens des valeurs, ils avaient tout bon. D’autant que, pendant ce temps, il y a fort à parier que maman géante enfournait un kougelhopf 100 % bio et que tonton géant touillait le compost au fond de la cour.

Le plus costaud, c’est Sletto !

Le fondateur de la cité de Sélestat (Schlettstadt signifie en effet ville de Sletto) avait, pour sa part, gaillardement déplacé moult arbres et rochers de la montagne de Lièpvre jusqu’à la plaine afin d’édifier le sien, de château ! Vous doutez ? Les gens de peu de foi n’auront qu’à se rendre à la Bibliothèque humaniste : ils y contempleront rien de moins qu’une côte de cet autre mémorable colosse. Certains prétendent que la précieuse relique n’est en réalité rien d’autre qu’un vulgaire os de mammouth ? Niaises fadaises, coquecigrues incongrues, âneries, en un mot, évidemment. Qui ne valent pas mieux que les élucubrations évoquant les anciens termes germaniques de slade (marécage) et de stat (ville) précipitamment assemblés pour évoquer une cité édifiée à la place d’un endroit marécageux. Je vous demande un peu : qui serait assez fou pour bâtir des villes sur un sol bourbeux ? Pourquoi pas une cathédrale sur des pilotis plantés au fond d’un lac souterrain traversé par des barques pilotées par des nains, pendant la nuit, tant qu’on y est ? Ha ha ha.

D’autres géants – d’authentiques ogres ! – vécurent au château du Haut-Koenigsbourg

Hélas, on est un peu moins fier de ceux-ci. Car il faut bien l’avouer, ils n’étaient pas les couteaux les plus affûtés du tiroir titanesque. D’ailleurs, ces stupides brutes avides de chair humaine se firent entourlouper par un petit tailleur qu’ils avaient fait prisonnier. Tandis que les trois gros balourds se disputaient le droit de manger cet asticot en brochettes, le jeune homme, vigoureusement motivé par la perspective de retrouver sa belle, réussit l’exploit d’en précipiter successivement deux dans le vide. Comment ? Grâce à une vieille ruse qui marche toujours : penché à la fenêtre, il fit semblant de s’extasier sur quelque chose d’incroyable, là dehors… Leur trancha-t-il le cou avec son couteau suisse ? Leur piqua-t-il tout bonnement le derrière de ceux qui voulurent profiter du spectacle du bout de ses ciseaux pointus ? Toujours est-il que deux d’entre eux basculèrent. Après quoi le troisième larron, terrorisé, quitta les lieux ventre à terre. Aux dernières nouvelles, il ne remit plus jamais son vaste tarin dans le secteur.

Mais au fait, d’où venaient-ils, tous ces géants ?

J’ai mon idée sur la question, puisque, du temps des Celtes, le dieu Vogesus (ou Vogesos, Vosegus, voire Vosacius, personne n’est sûr de son nom exact), installé au sommet du Donon régnait sur la contrée. D’ailleurs, l’un ou l’autre descendant de cet extraordinaire géant vit peut-être toujours dans le coin. Alors, si au cours d’une balade, vous découvrez une étrange empreinte dans la roche, si vous sentez un souffle chaud agiter les feuilles, si vous entendez soudain l’écho d’un rire prodigieux, ou celui d’un éternuement monumental… ne cherchez pas midi à quatorze heures. C’est peut-être que l’un d’eux est passé, ou bien qu’il passe par là, tout simplement.

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