Il faut parfois relativiser. Wingen-sur-Moder, sympathique mais néanmoins petite bourgade de 1600 habitants, n’a pas forcément les attraits types du haut lieu touristique. Et dans cette Alsace Bossue si verdoyante, on imagine mal un véritable encrage industriel. Erreur. Double erreur même. Depuis (presque) cent ans, on fabrique ici les plus beaux objets en verre du monde – ou pas loin. Avec ses 10 000 visiteurs chaque été, le Musée Lalique a réussi à imposer le détour dans les voyages touristiques. Y compris en période post-confinement. « Finalement, c’est une chance d’être à la campagne », avance Véronique Brumm, la directrice du musée. « Les gens ont pu venir en balade, profiter de la verdure environnante. En revanche, cette rentrée est plus compliquée. On perd 25% par rapport à l’an passé parce qu’on ne peut plus accueillir les groupes, scolaires ou seniors. »
250 personnes perpétuent le savoir-faire
Comme beaucoup d’autres établissements, Lalique fait le dos rond et regarde un peu autour. « On a eu peu de directives au départ. Il y a beaucoup de concertation avec les autres musées, pour voir comment chacun procède. On a surtout réfléchi à optimiser les parcours de visite pour éviter le croisement. » Rouvert depuis le 25 mai, le Musée Lalique a tout mis en place pour une approche sanitaire irréprochable. Véronique Brumm fait aussi preuve de philosophie, en estimant que « se laver les mains plus souvent, ce n’est pas un mal ».
Si René Lalique a laissé un nom, un héritage et un savoir-faire, si le Musée porte le patronyme, le groupe Lalique n’est plus aux mains de la famille depuis les années 1990, après avoir été vendu à un groupe suisse. Mais ce musée « reste celui d’une entreprise vivante », martèle Véronique Brumm. « Près de 250 personnes perpétuent ce savoir-faire sur le seul lieu de fabrication au monde de Lalique, ici, sur ce lieu choisi par René Lalique pour construire son usine. » Une usine à l’époque révolutionnaire.
« Ça fascine tous les âges »
Quand on pousse les portes, on arrive avec – peut-être – une image un peu à l’ancienne. Le verre, le cristal, est-ce bien moderne ? « Ça fascine tous les âges », affirme la directrice du musée. « On a aussi l’image d’un musée qui ne serait pas pour les enfants, à cause de la fragilité du verre, mais c’est un public qui nous tient à cœur. Notre rôle, c’est de faire découvrir l’Histoire de l’art, et on prévoit plein d’ateliers pour les enfants. »
Ici, à Wingen, on est fier. Ça n’a pas toujours été le cas en revanche. « Je suis une enfant de Wingen-sur-Moder. J’ai 45 ans et quand j’étais petite j’entendais des parents dire : si tu ne travailles pas bien à l’école, t’iras chez Lalique ! Mais depuis dix, quinze ans, ce regard évolue. Une fierté se développe en Alsace du Nord. »
Reste à convaincre les gens de la Ville. Les Strasbourgeois, c’est vrai, ont plus tendance à regarder vers Colmar que vers Haguenau ou Wissembourg. Et pourtant, « quand ils viennent une fois, ils reviennent ! Il y a des balades à vélo, à pied, plein de choses à découvrir. » Le plus beau à découvrir reste ce travail incroyable, de l’une des plus belles maisons du monde. Le Nord-est de la France, avec Wingen-sur-Moder, Meisenthal, Saint-Louis et même Baccarat est encore le berceau d’un certain luxe à la Française : les arts de la table. Si chez nous, on le croit en déclin, il se porte très bien dans les grandes métropoles du monde. Il est temps qu’on s’en rende compte. Et qu’on en soit fiers.
Wingen-sur-Moder, berceau du luxe verrier
Si René Lalique, né à Ay, dans la Marne, développe son art et sa créativité auprès des grands créateurs parisiens, c’est en Alsace, à Wingen-sur-Moder qu’il va imaginer l’usine du futur, celle qui lui permettra de fabriquer en grande série, en conservant un savoir-faire d’artisan. C’est ici qu’il déposera de très nombreux brevets et partira à la conquête du monde. Les objets Lalique, encore fabriqués aujourd’hui à Wingen-sur-Moder, terminent chez de riches acheteurs d’Asie, des États-Unis ou du Moyen-Orient.