samedi 23 novembre 2024
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Un Vosgien traverse l’océan Atlantique à la rame

Le sportif de haut niveau Stéphane Brogniart vient de finaliser une traversée de l’océan Atlantique à la rame. Parti des îles Canaries le 14 février dernier, il est arrivé en Martinique euphorique et indemne. Le Vosgien aura passé 71 jours seul en mer : un voyage qui l’aura transformé, annonçant la réflexion de nouveaux projets sportifs et humanitaires. Maxi Flash l’a contacté avant son retour en France métropolitaine.

C’est la fin d’un nouveau défi d’ampleur pour lui. Sur terre, il fut le premier à avoir finalisé d’une seule traite une traversée complète des Vosges en 2016, du Jura en 2017, et du Mercantour en 2018. Cette année, en 2020, alors que plus d’un tiers de l’humanité se confinait chez soi, le spécialiste d’ultra-trail et préparateur sportif vosgien Stéphane Brogniart traversait l’océan Atlantique en solitaire, sans assistance, et à la rame. Durant les deux mois et demi d’un long périple sur son embarcation de 8  mètres de long sur 1,60 de large, il s’est volontairement livré aux affres de la solitude et des intempéries.

« Il a fallu opérer une sorte d’alignement des planètes pour composer avec la nature — des vagues dans un sens, du vent dans l’autre, les rames, le bateau, le gouvernail, la dérive… »

Cette énième étape de son Projet Etarcos, dont la préparation a commencé il y a deux ans, devait l’emmener vers son objectif final en 2021 : la traversée de l’océan Pacifique — soit la plus étendue des étendues d’eau, que cette fois-ci aucun homme n’a encore traversé à la rame. Et pour cause : là où l’Atlantique représentait 5000 km, franchir le Pacifique requiert quasiment de multiplier ce chiffre par trois. Mais finalement, ce projet sera repensé. L’équipe du Projet Etarcos envisage d’autres futurs, moins axés sur « une énième performance sportive personnelle ».

Stéphane Brogniart

 

MAXI-FLASH : D’où vous est venue l’idée folle de vouloir traverser des océans à la rame ?

STÉPHANE BROGNIART : Il n’y avait en fait qu’une seule et bonne raison de relever ce défi : c’est parce qu’il me semblait impossible. Je trouve que lorsqu’on se trouve dans une zone de confort — parce que j’étais totalement dans une zone de confort dans mon sport de prédilection, l’ultra-trail, c’est juste le début de la fin. Lorsqu’on se fixe un objectif de vie et qu’on a envie de le réaliser, ça donne un moteur de vie tellement énorme… une sensation incroyable quand on se lève le matin. Et si je vis un quotidien aussi incroyable depuis deux ans, c’est bien parce que ça nous paraissait totalement impossible, à moi et à mon équipe, et que ça a donné une énergie folle pour rendre cela possible. Et, encore une fois, il n’il y avait qu’une seule motivation : rendre l’impossible, possible. Aujourd’hui, c’est chose faite. C’est juste merveilleux.

MF : Du trail dans les montagnes vosgiennes à la traversée des océans en solitaire, il y a un monde… Comment aborde-t-on ces changements de vie ; entre sportif de haut niveau et aventurier ?

SB : La différence notable entre un sportif de haut niveau et un « aventurier » est certainement qu’un sportif de haut niveau, peu importe le sport — et là, c’est peut-être le préparateur sportif qui parle — fait tout pour minimiser les parts d’incertitudes. C’est-à-dire qu’il abat beaucoup d’heures de répétitions, d’anticipation des risques, de repérages : tout est calibré, tout est prévu. On a juste à dérouler une partition, comme le ferait un musicien. Quand vous vous lancez dans une nouvelle aventure, vous ne savez pas ce qui va vous arriver, ce ne sont que des incertitudes. Il faut être apte à les gérer, pour aller vers le « moins pire », faire face à toute éventualité. On est en fait beaucoup moins dépendant de soi que de son environnement. Il a fallu opérer une sorte d’alignement des planètes pour composer avec la nature — des vagues dans un sens, du vent dans l’autre, les rames, le bateau, le gouvernail, la dérive… Il y a moins d’intensité qu’en sport de haut niveau comme l’ultra-trail, mais il faut faire preuve d’une capacité d’adaptation dans la durée… on est tout le temps dedans… c’est 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7.

MF : J’imagine qu’on ne se lance pas dans ce genre de défi sur un coup de tête. Quelles ont été les étapes de la réalisation du projet Etarcos ? Comment votre équipe vous a-t-elle épaulé ?

SB : Je me suis dirigé vers une préparation physique « générale », fatalement un peu liée à mon environnement vosgien : du ski de fond, du VTT, un peu de musculation, de la natation, de l’aviron… J’ai aussi tenté de me projeter dans des sports pouvant m’aider à appréhender l’embarcation, comme avec une traversée de la mer méditerranée en canoë-kayak (avec bateau d’assistance), ou le 480 km de ski-roues, d’une traite, pour tout doucement opérer cette métamorphose… et finalement prendre conscience que j’étais loin de tout maîtriser. Concernant l’équipe, chacun avait son rôle. Non pas à mon service, mais au service d’un bateau avec un être humain à l’intérieur. C’est du financement, de la logistique, de la communication… toute la matrice de métiers classiques autour d’un projet sportif finalement. Moi, j’avais aussi mon rôle d’ambassadeur, de manutentionnaire à bord du bateau. C’est toute une famille. Parfois, j’ai eu la sensation qu’on m’avait prêté le bateau pour avoir le droit de traverser. Ce qui veut aussi dire que lorsque vous êtes à bord du bateau et que ça ne va pas fort, voire vraiment très mal – d’un malaise difficilement explicable à moins de le vivre — vous vous sentez tellement redevable que cela vous procure une forme de supplément d’âme pour continuer. Tout n’est pas facilement « acceptable » à vivre dans ce si petit bateau, perdu sans assistance au milieu de l’océan…

MF : Vous avez pris le large à une période très particulière. Quelle a été votre vision du confinement et du coronavirus depuis votre embarcation ? Et votre retour, dans ce nouveau monde ?

SB : C’est vrai que c’est quelque chose d’assez incroyable ! J’ai été mis au courant très rapidement. Déjà quand je suis parti, on en parlait un peu. Puis mon équipe m’a fait des comptes rendus assez précis de ce qu’il se passait, et j’ai pu me faire une représentation mentale de ce monde confiné, un peu comme on le voit dans les films. J’ai eu conscience de tout ça. Après, j’étais moi-même dans un confinement… dans un confinement choisi, certes, mais arrivé à un stade, j’ai été plus ou moins dans la même problématique. C’est-à-dire que même si j’avais prévu de partir seul, il arrive un moment où comme je l’ai dit, on accepte difficilement la situation dans laquelle on se trouve. Les dix premiers jours, quand je me suis rendu compte que j’allais rester dans cette boîte à chaussure, voire ce cercueil parfois, lors des tempêtes affreuses ou des journées mortes sans vagues, je reportais toujours la réalisation de ma condition. Je reportais grâce à des podcasts, de la musique, en envoyant des messages à mes amis… enfin je n’acceptais pas d’être là. Arrivé à un moment, je me suis dit : « Non, tu ne vas pas te faire broyer par la situation. On va faire autrement : je vais avoir une demi-seconde d’avance. » J’ai repris le contrôle sur mon environnement et je me suis construit une nouvelle réalité de ce monde difficile. « Je vais être créatif, je vais m’imaginer des tas de choses, je vais créer un nouveau monde. » Et à partir de là, ça a été super agréable. Je me suis dit aussi que parmi toutes ces personnes chez elles, confinées, certaines ont eu la présence d’esprit d’être créatives, sinon elles auraient subi. Alors voilà : si on s’adapte et qu’on joue avec la nouvelle règle du jeu, la nouvelle contrainte qui nous est donnée, on ne la subit plus, et on est à même de passer un bon moment. Alors créez-vous un nouvel environnement, vous allez voir c’est sympa.

MF : Comment envisagez-vous la suite ? Toujours aussi motivé pour la dernière échéance : la traversée du Pacifique en 2021 ?

SB : Forcément, un voyage comme celui-là vous démonte totalement, pierre par pierre, mais vous vous remontez différemment, un peu mieux. On revisite un peu toute sa vie… on revoit les choses. Alors le Pacifique se fera, mais ne se fera pas comme prévu en 2021. Il ne se fera certainement pas non plus en solitaire, et sera beaucoup moins axé sur une performance individuelle — comme pour mettre une énième ligne de plus à un exploit personnel. Passer beaucoup de temps à réaliser des performances individuelles (peut-être pour se gargariser de façon assez narcissique), ça peut avoir son intérêt pour acquérir une notoriété, ou une connaissance, ou peut-être faire ses preuves et atteindre la performance. Mais à la vue de l’évolution du monde et de la nature en ce moment, il serait important d’associer ces exploits à autre chose, pour essayer d’apporter une pierre à l’édifice d’un monde meilleur, ou en tous cas plus respectueux de l’environnement. On va travailler sur le projet pour le réécrire, et faire travailler des fondations, des associations, des ONG pour la nature, toutes ensembles, notamment sur la question des réfugiés climatiques. Peut-être, pourquoi pas aller d’îles en île, en équipage, à la rencontre de ces gens qui seront bientôt les pieds sous l’eau, obligés de quitter leur famille, leurs ancêtres, leurs coutumes. On souhaite se rediriger vers un projet beaucoup plus humain, qui ne soit pas basé sur la performance. C’est pourquoi il nous faut du temps pour le mettre en place : donner du sens à une gesticulation.

Bonne journée à toutes et tous..Voilà l'un des 72 levé de soleil de cette traversée de l'Atlantique à la…

Publiée par Stéphane Brogniart sur Lundi 4 mai 2020


Retrouvez toutes les informations concernant le Projet Etarcos (le journal de bord, les différentes étapes de préparation, l’objectif des traversées) sur leur site
http://www.etarcos-adventures.com/

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