Quand mémé a eu son cancer, papa a acheté une 2 CV, on l’a revendue quand elle était morte. On allait la promener le jeudi après-midi et le dimanche, les enfants à tour de rôle à l’arrière, c’est maman qui a passé son permis en premier, avant papa. Quand elle l’a passé, elle a renversé des poubelles sur un trottoir entre la rue du Presbytère et la rue Saint-Georges, mais elle l’a quand même eu. La 2CV était grise, pas comme les tractions qui étaient noires, avec un coffre rond. 701 DS 67.
Quand mémé s’asseyait, les caoutchoucs du siège métallique cassaient parfois, on mettait des coussins sous la toile des fesses pour que cela soit plus confortable. Elle disait toujours qu’elle était heureuse, à la fin elle ne parlait plus qu’en alsacien, et qu’elle aimait bien papa qui était français et qu’elle avait été plusieurs fois allemande.
Quand maman lui demandait si elle avait mal, elle disait que non. Elle avait un grand trou dans l’estomac, je crois qu’une fois elle a mangé un œuf dur, qui est ressorti. Jusqu’à ce qu’elle aille à l’hôpital, on faisait des promenades, le docteur venait lui faire des piqûres et l’oncle Karl est venu exprès d’Allemagne pour la voir, c’était sa petite sœur mémé et pendant la guerre ils avaient eu des secrets.
Un dimanche, papa a décidé d’aller lui montrer le lac de Gérardmer, c’était chez lui, on a dû descendre pour que la 2CV puisse monter, il s’est arrêté entre deux sapins pour lui montrer le lac d’en haut, elle a dit que c’était très beau et plus tard on a dit que c’était sa dernière sortie.
Ambroise Perrin