Il n’en a pas parlé tout de suite, mais au fil des minutes, le sujet est devenu inévitable. « J’ai été confronté très tôt à la mort, cette lourde réalité », il articule de sa voix puissante qui résonne dans le café restaurant. Il n’oubliera jamais la violence de perdre son père, à 5 ans, et puis d’autres membres de sa famille, beaucoup trop de souffrances de toute façon. Avec son frère, il est élevé par sa mère. Elle est femme de ménage. La vie n’est pas simple. Pas tout à fait un conte de fées. Il est un enfant dur, tendu, jamais satisfait, il en veut toujours plus, il est plutôt sage, mais rebelle, il fait de grands gestes pour exister, il a l’impression d’être invisible. Mais sa tante, en connexion avec le milieu littéraire, est très présente. Il passe d’un milieu à un autre en cherchant des re-pères, il découvre les mots et bientôt le théâtre : « On m’a privé de jouer lorsque j’étais un enfant. Alors dès l’adolescence, j’ai eu envie de rattraper le temps perdu ». Sur une scène, on l’écoute, on le regarde, il n’est plus transparent. Les visages s’illuminent. À 15 ans, il joue L’Aiglon d’Edmond Rostand au Festival de théâtre de Charleville-Mézières, il obtient même un prix d’interprétation. C’est tellement évident à cet instant, il sera comédien, il l’est déjà : « Je connaissais les difficultés du métier, mais je me suis dit qu’est-ce que j’ai à perdre, on m’a tant pris ».
Paris, l’Asie, Paris
En 2010 il s’inscrit au Conservatoire d’art dramatique de Strasbourg. Un an plus tard, il a besoin de quitter l’Alsace. Direction Paris. Il travaille un peu, au cinéma, à la télé, au théâtre et puis il est « victime » d’un casting sauvage de mannequinat en pleine rue. On lui propose des contrats de plusieurs mois en Asie. Il hésite, son désir c’est d’être acteur, pas mannequin au bout du monde, mais il part. Il a 23 ans. Shanghai, Pékin, Macao ou Hong Kong, il passe sa vie en l’air, entre les flashs des photographes, il aime entrer dans l’univers singulier d’un créateur, mais très vite il s’ennuie, il se lasse d’être un objet que l’on retouche, que l’on coiffe, que l’on remaquille. Avant des contrats à Singapour ou au Japon, il arrête tout, il tourne le dos au Soleil Levant et aux cachets confortables. Il a 26 ans, sa vie c’est la scène, le cinéma, pas les lumières des podiums, sa vie c’est Paris. Il a besoin d’incarner des personnages, besoin de jouer, alors il revient en France sans repères, sans contacts, il repart à zéro.
Sur la route de Dorian
Il envoie une lettre manuscrite à l’agente de Marion Cotillard, il y raconte son enfance particulière, les hauts et les bas, les moments sombres, il écrit « j’ai tout fait pour ce métier ». L’agence le prend sous contrat, mais le prévient, il est trop lisse, trop clean, trop mannequin, il ne tournera pas avant des années. Il passe des castings, des auditions, il est acharné, il change d’agent. Sa voix de basse baryton, devenue plus grave à 17 ans après un nouveau décès dans sa famille, fait peur, mais pas à tout le monde. En 2018, il galère un peu, il est barman. Un soir par hasard, il rencontre la metteuse en scène et écrivaine Anne Delbée, elle lui dit vous devriez être comédien jeune homme, il répond ça tombe bien je le suis. Elle lui donne rendez-vous le lendemain pour un essai et quelques mois plus tard, elle l’engage pour jouer Oreste dans Andromaque. C’est parti, enfin, il respire, il joue, la pièce tourne dans l’hexagone et son bonheur fait des petits ; on lui parle du Portrait de Dorian Gray à l’affiche au Théâtre du Ranelagh dans une mise en scène en anglais de Thomas Le Douarec, un rôle sur mesure pour Mickaël ; par chance le comédien qui interprète Dorian s’est engagé dans un autre projet, la place est libre, on est à quelques jours d’une première à Avignon. À l’aise avec la langue de Shakespeare – il est titulaire d’une licence et pendant trois ans en Asie il n’a parlé qu’anglais – il se prépare jours et nuits, opiniâtre, obstiné, entêté. Ce rôle c’est pour lui. Il loue des vêtements de fin 19e, il se présente à l’audition les cheveux gominés, il est déjà dans la peau blanchie de Dorian Gray. cinq ans et 400 représentations plus tard, il le joue encore.
Il trouve ses repères
Depuis, il n’a pas arrêté de travailler au théâtre : un avocat dans Sauver la Du Barry, une pièce qui raconte le destin tragique de l’une des maîtresses de Louis XV, un officier allemand dans Résistance(s), le personnage de Chaval dans une adaptation de Germinal, et puis Rimbaud dans Tête-à-tête avec Rimbaud mise en scène par Brigitte Arnaudet, sa première prof de théâtre au lycée de Barr. Mickaël joue et joue encore, des rôles forts, des personnages sombres, il trouve ses repères. Son goût des autres et sa curiosité nourrissent son jeu et son Je : « Il me faut toujours des surprises. Les gens, la vie, les rencontres, les aventures », confie le comédien qui a envie de devenir un artiste complet.
« Pendant le confinement, on était privé de jouer, alors, comme je rêvais de faire de la chanson depuis longtemps, je me suis mis au piano, avec acharnement, tous les jours pendant trois heures, je me suis mis à écrire des textes qui parlent surtout de l’absence. Chanter est aussi du jeu. » Il sort son premier EP. Et puis, comme il a toujours aimé dessiner, il commence à peindre, pour ne plus dépendre du désir d’un metteur en scène ou d’un réalisateur peut-être, pour ne pas s’ennuyer certainement. « Pour que mon cerveau ferme sa gueule », il dit. Il invente des histoires, ses personnages sublimés et entrecoupés de structures géométriques expriment leurs pensées, leur mystère en clair-obscur. Il peint l’armure qu’il s’est fabriquée pour avoir moins peur quand il était enfant, il crée pour trouver la liberté, la liberté comme repère.
Une histoire d’amour
C’est fascinant d’observer Mickaël, maintenant que je sais qu’il s’est construit sur la perte, que sa vie n’aurait jamais été la même sans la perte. Il ne serait peut-être même pas devenu comédien s’il n’avait pas connu ce drame. C’est fascinant de l’écouter raconter sa région : « Et comme Rimbaud avec ses Ardennes, je viens de là, mais je suis parti, je vis à Paris, mais j’ai besoin de savoir que mon Alsace n’est jamais loin, j’ai besoin d’y revenir ».
C’est fascinant de l’écouter parler de Rimbaud, de Néron, de Dorian, d’Oreste, de ses rôles d’avocat ou de meurtrier. C’est fascinant d’observer quelqu’un qui ne dit pas « à cause de mon malheur », mais « grâce à mon malheur, je suis devenu ce que je suis ». Et ce qu’il est devenu, c’est un comédien, un chanteur, un artiste, un homme qui vit une grande histoire d’amour, la plus grande de toutes, avec son métier.