Jérôme Ferrari revient en cette rentrée avec Nord Sentinelle, récit dans lequel il nous embarque sur l’île de beauté, ses paysages sauvages et ses eaux turquoise. Pourtant, derrière cette carte postale, l’auteur vient interroger une réalité de l’île plus sombre. Dans ce récit il ausculte, au détour d’un thriller déguisé, la violence sur l’île à l’ère du tourisme de masse. Ici l’envahisseur c’est le touriste, celui qui en foulant la terre de l’île de beauté n’hésite pas à piétiner l’histoire péninsulaire tout en nourrissant son économie. Quant à l’insulaire qui se voit pris en otage des barbares estivaux, il n’hésite pas à frapper fort s’il le faut. Un peu comme Alexandre Romani, ce corse de 23 ans qui, pour une vague histoire de bouteille de vin, n’a pas hésité à larder Alban Genevey, un étudiant parisien, de coups de couteau.
Une plume corrosive au service d’un texte puissant
À partir de cette histoire qui pourrait faire la Une de Corse Matin, le narrateur, un professeur de philosophie corse qui revient au pays après de longues années passées à l’étranger, cousin de l’agresseur, va remonter le fil de ces années qui ont vu l’île changer de visage, de ce tourisme qui a tout gangrené. De cette âme aussi que génération après génération, la famille Romani, « cette lignée de branleurs » a été prête à vendre, et dont Alexandre, pris dans la toile tissée par ses aînés, a hérité dans une appartenance presque inconsciente au clan, tel un héros tragique. Se pose alors la question du déterminisme, de la fatalité et du libre arbitre qui ne serait alors qu’un leurre face à la répétition d’une violence toute puissante. C’est un roman qui, en ciblant un fait isolé, vient pourtant questionner notre condition humaine et notre rapport à l’altérité. Dans ce monde qu’il nous décrit sans concession, l’auteur pose un regard intraitable tant sur l’insulaire que sur son envahisseur, sur cette violence, seul langage commun de nos peurs. Avec pertinence, il donne à voir l’absurdité qui semble habiter l’homme et cette nuit qui depuis des millénaires n’en finit pas d’envahir le monde.