Vous avez grandi entourée de nature, est-ce que cela a joué dans vos choix d’orientation ?
Oui, j’ai grandi dans une maison avec vue sur les collines environnantes des Vosges du Nord, cela a participé à ma construction sociale et identitaire. Je me suis toujours très bien entendue avec mes parents, mais leurs boulots étaient très prenants donc j’ai grandi avec grands-parents maternels. Mon grand-père, Jean-Jacques Weiler, est né en 1931, ma grand-mère, Suzanne, en 1941, c’était une autre époque ! Ils sont toujours à Ingwiller, et mon grand-père nous emmenait dehors, avec ma petite sœur, on passait nos journées à la rivière, à voir les animaux, c’était une vraie éducation à la nature !
Vous vous engagez très jeune chez Greenpeace, à 19 ans. Qu’en retenez-vous ?
En tant que jeune femme avec beaucoup d’idées, c’est une association qui faisait rêver, et j’ai pu créer et gérer le compte Instagram. Je retiens toutes ces rencontres, intergénérationnelles, comme Gilles et Christian qui m’ont beaucoup appris par leur combat. La première action de désobéissance civile que j’ai faite, c’était au Leclerc Rivétoile de Strasbourg, pour coller des stickers et sensibiliser à la déforestation et à l’impact de manger de la viande rouge. Pour les gens, Greenpeace, c’est soit noir soit blanc, mais les actions interpellent beaucoup, et pour nous, c’est une mise en danger, ce n’est pas pour s’amuser ou sécher les cours, mais parce qu’on a réfléchi à la cause.
Puis en 2022, vous arrivez à la tête d’Oxfam Strasbourg, qu’avez-vous défendu ?
Oxfam est une organisation internationale de lutte contre la pauvreté qui combat toutes formes d’inégalités, de genre, économiques, climatiques, sociales… Avec deux autres jeunes, on a repris l’antenne strasbourgeoise, c’était du boulot, mais j’ai adoré ! Cela m’a ouvert l’esprit parce que la lutte pour le vivant, ce n’est pas que sauver les ours polaires, c’est une vision qui prend en compte toute l’humanité. La crise climatique aujourd’hui, c’est 1% des plus riches qui à eux seuls génèrent 50% des gaz à effet de serre. Déjà dans la dégradation de la planète il y a une inégalité fondamentale et il faut essayer de la réparer en faisant le moins de sacrifices possible : ce n’est pas aux gens de la moyenne classe et encore moins aux plus pauvres de payer.
Quel est le point commun entre cet engagement associatif et vos études à Sciences Po ?
Le master en Politiques européennes et affaires publiques concordait entre mes aspirations et le niveau européen, car la politique européenne est un levier important. J’ai appris les rouages de l’influence politique et Oxfam est connue pour ses plaidoyers, car ils font des rapports à l’intention des leaders politiques. Plus tard, si je travaille au sein des institutions européennes, ou dans un cabinet de conseil, j’aimerais faire ce genre de chose.
« La lutte pour
le vivant, ce n’est pas que sauver
les ours polaires,
c’est une vision qui prend en compte toute l’humanité »
Votre stage de fin d’études a aussi eu lieu dans une ONG internationale, Surfrider, quel était l’objectif ?
Je cherchais un stage pour me spécialiser, et la question de la protection des océans me fascine. C’est un enjeu primordial, ils produisent 50 % de l’oxygène, et absorbent 30% des gaz à effet de serre. Surfrider est à Biarritz, ils font de la sensibilisation dans les écoles et les entreprises. Des scientifiques nous ont appris à faire de la vulgarisation, j’ai été envoyée pour faire des discours auprès de collaborateurs d’entreprise, des activités climat…
Depuis un an, vous faites aussi partie des 800 ambassadeurs européens pour le Pacte vert qui vise à rendre l’Europe neutre pour le climat d’ici 2050. Comment devient-on ambassadeur ?
Sur candidature, sous condition de diriger une entreprise écologique ou solidaire, d’être élu, ou de diriger une association, et moi j’étais co-coordinatrice d’Oxfam. C’est une communauté d’hommes et de femmes plus ou moins jeunes, d’entreprises et associations qui fournit un réseau pour créer des projets ensemble, s’inspirer individuellement et collectivement, et agir en représentant l’Union européenne et le Green deal. Chacun en semant ses propres graines, moi je suis active sur Insta, je partage et sensibilise à ma façon. Et avec un autre ambassadeur français, nous avons soumis le projet de créer une association pour promouvoir les fresques du climat dans les écoles.
Parlons d’Éco-éclipse, une autre de vos activités. D’où vient ce nom de podcast ?
Éco pour le côté écologique, et éclipse pour cette obstruction temporaire de la lumière, et j’ai l’impression que c’est ce qu’on vit avec la lutte écologique depuis des décennies. À certains moments, on se dit qu’on sort de l’ombre comme en 2020, de nombreuses villes ont été gagnées par les Verts. Pourtant, il y a une recrudescence des propos climatosceptiques, c’est effarant. C’est comme ça que je vois la lutte pour la justice environnementale : c’est une lumière qui disparaît, mais revient toujours. Et la première victoire, au-delà des actions, ce sont les rencontres qu’on fait.
Justement, qui sont les gens que vous interviewez ?
Mes invités sont des gens qui m’inspirent. L’engagement, ça veut dire faire quelque chose qui ne concerne pas que soi, et sans faire des conférences internationales, j’ai envie de donner la parole et laisser une trace. Par exemple, j’admire Camille Étienne, la Greta Thunberg française, ça a frisé l’obsession à un moment, mais je me dis qu’il y a plein de Camille Étienne. Et la première que j’ai interviewée a été Jade Verda, une danseuse qui renouvelle les répertoires d’action. Au lieu de manifester avec une pancarte, elle va créer une performance dansée, comme devant le siège de Total Énergie à la Défense. Cela interpelle plus de personnes, peut-être connectées à l’art plus qu’à l’écologie… Le prochain, ce sera Gilles, mon ancien camarade de Greenpeace, il a 75 ans et est engagé depuis plus de quarante ans, il parle de sa vision du monde, il est végétarien, c’est très inspirant… mais je ne dévoile pas tout !
Entre votre grand-père et ces rencontres intergénérationnelles, que pensez-vous du “c’était mieux avant” ?
Ce “comme avant” on l’a tous, même moi je dis que quand j’avais 10 ans, il y avait de la neige… Mais ce qui est important, c’est de se centrer sur le présent, les choses sont comme ça, ce n’est pas notre faute, cela nous dépasse. Le référentiel passé permet de relativiser, mais la nature subsiste, elle est là et elle est belle, il faut la protéger parce qu’on en a besoin maintenant. Bien sûr il y a l’influence de mon grand-père, qui disait la rivière était plus large, le ciel n’avait pas cette couleur… Cette nostalgie d’une époque que je n’ai pas connue est un peu moteur d’action. Et cette influence intergénérationnelle participe aux nouveaux récits qu’on doit véhiculer. Le maître mot de mon podcast, c’est raconter les belles histoires, sans la peur constante et la nostalgie, et quelle que soit la génération et la responsabilité, il faut avancer avec ça.