Il arrive un moment où fuir ne suffit plus. On ne cherche plus à s’échapper, mais simplement à tenir. C’est dans cet entre-deux qu’Emilia arrive à Sassaia, un village reculé, figé dans le silence et l’oubli. Un lieu abandonné du monde, où personne ne l’attend, sauf peut-être les souvenirs d’une vie qu’elle tente de laisser derrière.
Bruno vit là, juste en face. Il s’est depuis longtemps retiré du tumulte des autres, réfugié dans une solitude faite d’habitudes et de silences. L’arrivée d’Emilia vient troubler cette routine millimétrée. Quelque chose en elle — ses couleurs trop vives, sa manière d’être là sans s’imposer, son énergie contenue — fissure le calme de ses jours.
Très vite, un lien se noue. Sans calcul ni mise en scène, dans l’urgence silencieuse de ceux qui ont trop perdu pour faire semblant. Ils se trouvent dans la faille, dans ce geste instinctif qui consiste à se tenir debout malgré tout. De ce contact rugueux naît une forme de tendresse, sans mots, sans promesse, mais bouleversante de justesse.
Emilia porte en elle un secret, un événement ancien, irréversible, dont le poids ne sera révélé que bien plus tard. Mais l’essentiel n’est pas là. Ce que Silvia Avallone met au cœur du récit, c’est l’après. Ce que l’on fait avec la douleur, une fois qu’elle est là. Ce qu’on reconstruit, lentement, avec presque rien : un regard, une main tendue, une présence qui ne fuit pas.
Avec son écriture précise, pudique et d’une grande humanité, l’autrice explore la solitude, la honte, la nécessité de se réinventer. Elle approche ses personnages sans les juger, captant leurs failles et leurs élans, leurs silences et leurs résistances. Et surtout, elle parle de ces liens ténus, parfois invisibles, qui suffisent à nous retenir en vie.
Ce roman bouleverse sans fracas. Il dit l’effondrement, mais surtout ce qui, malgré tout, permet de rester debout. Emilia, cabossée mais incandescente, avance sans rien demander. Le livre la suit avec une tendresse pudique. Et dans ce regard porté sur elle, naît une forme de grâce — discrète, obstinée — qui éclaire même les coins les plus sombres.