mercredi 28 mai 2025
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Michaël Landolt – Dans le camp de l’archéologue

De Metz, où il est né en 1982, au poste de directeur du site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, le parcours de Michaël Landolt est chargé d’histoire. Histoires d’enfance, puisqu’il a été bercé par le récit de son arrière-grand-père déporté en 1944, et Histoire avec un grand H, lui qui a fait de sa passion pour l’archéologie son métier. Lorsqu’il débute au Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan à Strasbourg en 2005 comme spécialiste de l’âge de fer, il découvre des vestiges de la Première Guerre mondiale, puis s’intéresse à l’archéologie de la Seconde Guerre. Arrivé à la Direction régionale des affaires culturelles Grand Est à Metz en 2015, il lance un programme de fouilles au camp de Naztweiler avant de saisir l’opportunité d’en devenir le directeur fin 2023.

On vous imagine petit garçon à chercher des cailloux… Saviez-vous que vous seriez archéologue contemporanéiste dès l’enfance ?

C’est exactement ça ! Mon endroit préféré vers 8 ans déjà, c’était le musée archéologique à Metz, ce n’était pas ma grand-mère qui m’y traînait, mais l’inverse ! (rires) Et mon grand-père me parlait de l’histoire familiale avec un arrière-grand-père déporté au camp de Natzweiler. Je ne l’ai pas connu, mais j’ai fait le Concours national de la Résistance et de la Déportation en terminale. C’est comme ça qu’on a ouvert les archives familiales, j’ai reconstitué son parcours. J’étais déjà venu au camp au lycée, en famille aussi, donc Natzweiler n’a jamais été loin de moi.

Qu’a vécu votre arrière-grand-père, Fernand Traver ?

C’était un passeur, à la frontière entre le Reich, c’est-à-dire la Moselle annexée, et la France, donc Nancy. Les passeurs aidaient les déserteurs de l’armée allemande ou les prisonniers de guerre évadés à traverser clandestinement la frontière. Mon arrière-grand-père faisait partie du réseau Marie-Odile, et il s’est fait prendre par un agent de la Gestapo infiltré : il a été arrêté le 18 mars 1944. Direction le fort de Queuleu, un corps spécial d’interrogatoire de la Gestapo à Metz, puis en mai 44 il est envoyé à Natzweiler, en septembre à Dachau et rapidement transféré à Gröditz, un camp annexe de Flossenbürg en Saxe. Il y travaille dans une usine d’armement, et aura une fonction de secrétaire de camp. Puis il va être témoin d’un massacre de masse, 180 personnes assassinées lors de l’évacuation. De retour en France, il est témoin lors des procès de Nuremberg.

Pour désigner le site de Natzweiler, on utilise plusieurs noms. Vous-même êtes directeur du CERD, le Centre européen du Résistant déporté. Pouvez-vous clarifier les appellations ?

Le camp de Natzweiler, c’est l’ancien camp de concentration à l’époque nazie qui s’appelait Konzentrazion Lager (KL) Natzweiler. On utilise aussi parfois Struthof parce que c’est le lieu-dit, mais c’est surtout le nom du camp après la Seconde Guerre mondiale, le camp français du Struthof. Aucun document nazi n’emploie Struthof. Le CERD, c’est le nom du bâtiment d’accueil avec des bureaux administratifs et une exposition qui explique la Résistance en Europe, la montée des périls, et la lutte contre le nazisme à l’échelle européenne. Mais ce CERD, les gens ne font pas la relation avec un camp de concentration, on aura donc une nouvelle dénomination d’ici quelques mois : le Mémorial du camp de Natzweiler.

Le musée du camp inauguré en 2005 va subir une refonte complète
et s’enrichir d’objets. / ©CERD
Au quotidien, quel est votre rôle sur le site ?

Aujourd’hui, c’est répondre aux mails (rires). Il faut manager une équipe pluridisciplinaire, nous sommes une trentaine, de l’historien à la douzaine de guides, des agents techniques et administratifs… Nous accueillons également des étudiants en alternance ou en thèse. Il s’agit aussi pour moi d’assurer le lien avec les différents ministères, avec la hiérarchie. De même pour des partenariats dans le cadre des projets de valorisation, d’exposition, d’animation sur le site. Ensuite, assurer les nombreuses commémorations—le président de la République est venu en novembre dernier pour commémorer le 80e anniversaire de la découverte du camp. Enfin dynamiser, encourager la recherche, recevoir aussi les délégations de plusieurs pays, car le camp a accueilli des déportés de toute l’Europe.

Que montre précisément le site de Natzweiler ?

Il montre le système de répression nazie politique et raciale, contre les opposants politiques, les résistants d’Europe—la nationalité numéro un, ce sont les Polonais, parce que les déportés sont mutés de camp en camp. Cela montre la toile d’araignée, l’organisation complexe, multisites, mais aussi les expériences médicales, le travail forcé de l’usine d’armement à l’exploitation de granit pour les monuments nazis, la torture due aux rudes conditions climatiques en montagne, la hiérarchie au sein même des détenus… Et le camp de Natzweiler n’est pas hermétique, il y a des gens qui entrent dans l’enceinte et viennent y travailler, des entreprises privées, des champs, ce sont des choses qu’on évoque de plus en plus lors des visites.

Vous avez accueilli 146 000 visiteurs en 2024, un nombre en hausse constante. Quelle est la part du jeune public dans cette transmission ?

Le nombre de visiteurs a toujours augmenté depuis l’ouverture, en sachant qu’aujourd’hui on a trop de visiteurs par rapport au personnel, à la taille du site et à la conservation des vestiges. On a parfois des files continues comme certains jours en mai à 1900 visiteurs… Donc on va devoir réduire la voilure comme cela a été fait à Auschwitz. L’objet c’est la qualité et non la quantité. La moitié des visiteurs sont des scolaires et les enseignants réservent aujourd’hui pour 2026.

Le portail et la nécropole de l’ancien camp de Natzweiler. / ©CERD
Vous parliez de fouilles archéologiques au camp, qu’avez-vous trouvé ?

On travaille dans la carrière où on recherche des informations sur le travail forcé car on en a peu. On peut comprendre les lieux, les bâtiments, des éléments sur les déportés eux-mêmes aussi, des objets, artisanaux parfois. Et des éléments sur le travail en lui-même, par exemple des pièces d’avions qui sont liées au démontage des moteurs, et ainsi savoir quelle partie était montée au KL Natzweiler. Des choses cachées parfois, on a trouvé une plaque en métal avec un numéro de matricule d’un déporté soviétique dans une chaise, probablement une petite cachette.

L’un de vos projets en tant que directeur est de ramener ce genre d’objet au musée ?

Le musée a 20 ans, et on a un projet de refonte complète. À l’heure actuelle, il contient des panneaux, des maquettes, mais peu d’objets, et beaucoup d’explications textuelles uniquement en français, ce qui est problématique. L’origine internationale des détenus est très peu présente, à peu près 8000 déportés étaient français sur les 50 000 des 53 camps annexes (17 000 étaient à Natzweiler même). Avec la disparition des témoins de manière inéluctable, il faut utiliser d’autres outils, des traces matérielles, pour évoquer l’organisation de ce camp, et ces parcours, ces destins.

L’info en plus

Cédric Neveu est l’historien du CERD et sa mission principale est de « mener des recherches historiques sur le camp de Natzweiler, les détenus, les camps annexes et d’actualiser les données parce qu’on fait sans cesse de nouvelles découvertes ». Par ailleurs, lorsque des familles cherchent des informations sur un grand-père ou un arrière-grand-père, il mène la recherche et leur donne la synthèse. « En échange, ils me transmettent des photos pour mettre un visage sur les déportés, car ils ne sont pas que des numéros de matricule, c’est important. » L’historien avoue parfois passer des heures sur un nom, « s’ils sont à consonance polonaise ou germanisés, c’est compliqué à retrouver. Même si on connaît tous les noms, ils ont été orthographiés sur des archives allemandes, pour peu qu’il y ait une erreur de transcription ou si on cherche un Dimitri Pavlov, il y en a plein ! » La dernière partie de son travail est à vocation scolaire, il forme des enseignants ou se déplace pour intervenir auprès de lycéens par exemple.

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