mercredi 28 mai 2025
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Chiens des Ozarks de Eli Cranor

Dans ce roman brut et tendu, Eli Cranor donne voix à une Amérique oubliée avec une puissance rare. Éditions Sonatines.

On pousse la porte de ce texte sans savoir à quoi s’attendre. Et dès les premières pages, on est conquis, tenu en haleine par l’écriture d’Eli Cranor. Sa façon de raconter est viscérale, tendue, brute, mais profondément humaine. Tout sonne juste, et surtout, tout fait sens. On atterrit dans une ville perdue de l’Arkansas, au cœur des Ozarks. Un coin rongé par la pauvreté, la solitude, et des tensions raciales toujours vivantes. Jeremiah, vétéran du Vietnam, vit au milieu des carcasses de sa casse automobile, qu’il transforme en forteresse. Il y élève Joanna, sa petite-fille, vive et rebelle. Face à eux : les Ledford, suprémacistes déglingués, figures d’une haine sans âge. Ce décor poisseux est plus qu’un cadre : il devient un personnage à part entière, un monde clos où la violence couve sous chaque silence. Même l’air y semble plus lourd, saturé de colère rentrée. Ce qui est réussi, c’est la manière dont Eli Cranor construit ses personnages.

Ce sont des êtres complexes, souvent à la dérive, pétris de peurs, de regrets, d’amour mal exprimé. À travers eux, c’est un portrait d’ensemble qu’il dresse : humain, désespéré, d’une justesse poignante. Avec toujours cette fragilité à fleur de peau, même chez les plus endurcis. Ce n’est pas du noir de façade, c’est un désespoir habité. Une écriture précise et épurée. Chaque mot vise juste. Les silences parlent autant que les dialogues. Il y a quelque chose de l’ordre de la tragédie dans cette tension qui ne relâche jamais. Une économie de style qui donne au roman une puissance rare, presque physique.

Clairement on ne lit pas ce roman pour élucider un mystère. On le lit pour comprendre ce que ça fait de vivre, quand plus rien ne vous tient. Eli Cranor parle d’une Amérique qu’on détourne souvent du regard et il le fait avec une finesse précieuse. Quelle lecture ! Un roman sombre, tendu, traversé d’humanité brute. Une voix singulière, à suivre sans détour.

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