mercredi 29 octobre 2025
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d’Keschtezitt – Le temps des châtaignes

Le mot châtaigne déclenche en ma mémoire une myriade d’images bienfaisantes, liées à mon enfance, à Haegen, un village qui s’adosse à une vaste forêt, ourlée, en bordure, de châtaigniers.

Ces arbres rythmaient notre vie d’enfant. Ils nous apportaient des joies et des terrains d’observation sur plusieurs mois. Au printemps, leurs feuilles oblongues, pointues, aux bords dentelés, nous servaient à nous couronner. Il suffisait de deux ou trois feuilles que nous faisons tenir l’une à l’autre à l’aide d’aiguilles de pin. Nous étions rois, reines, empereurs ou impératrices pour une durée variable, parfois brève lorsque la couronne se défaisait. C’était si simple de prendre du galon et si rapide d’être destitué et renvoyé chez les roturiers. Nous aimions aussi rêver en arrachant le limbe des feuilles pour ne laisser que les robustes nervures, ce qui faisait ressembler les feuilles à des squelettes de poissons.

La fleur de châtaignier ressemble à un cure-pipe jaune clair. Ses chatons mâles apparaissent en premier. Les chatons femelles sont réunis par trois. Les massifs de châtaigniers en fleurs, rendus clairs par la floraison, tranchent au printemps avec les autres verts, plus insolents et profonds. La floraison de l’arbre est tardive : elle se déroule à partir de juin, et va jusqu’à la fin juillet. Avec la chaleur du début d’été, nous sentions le soir descendre de la forêt son parfum miellé, aimé des abeilles, qui œuvrent pour fournir un miel couleur caramel.

Feuilles, bogues et les fruits nommés akènes. / ©S. Morgenthaler

C’est le vent qui pollinise la fleur. Les inflorescences tombent ensuite au sol comme autant de cure-pipes jaune clair que le temps rendra brunes. Ensuite se développent les bogues, hérissons d’un vert tendre, à l’intérieur satiné et velouté. C’est là que les châtaignes se développent, d’abord claires comme l’ivoire, pour s’infuser de brun au fil des semaines. À maturité, la bogue tombe au sol. Lorsqu’elle entrouvre ses quatre raies, les châtaignes, généralement deux ou trois, apparaissent luisantes, agglutinées comme une nichée. Il arrive que les bogues tombent au sol sans s’ouvrir. Cela nous permettait de poser le talon sur elle et de le tourner avec frénésie pour extraire les fruits. Et la bogue aplatie ressemblait à une étoile de mer.

Lorsque les châtaignes deviennent matures, l’orée de la forêt s’anime, que ce soit sur la route vers Saverne, ou celle opposée vers Saint-Gall, des voitures s’alignent sur les bas-côtés, et l’on voit circuler les ramasseurs équipés de paniers et de seaux. Les châtaigneraies se remplissent alors de murmures de voix auxquels se mêle le son des feuilles mortes foulées.

Les bogues, d’abord d’un vert tendre, deviennent jaunes et s’ouvrent par quatre raies . / ©S. Morgenthaler

Les forêts d’Alsace ne sont pas aussi riches en châtaigniers que celle du Massif central, de l’Ardèche ou de la Corse. Mais la présence de ces arbres dans les forêts vosgiennes atteste qu’ici elle est une plante « obsidionale », c’est-à-dire qui s’est implantée en temps de guerre, se plaisant dans les sols à la terre légère et plutôt acide, sur des terrains de combat ou des voies de passages d’armées.

Les châtaigniers recèlent des vertus. Voilà pourquoi leurs feuilles, leurs inflorescences et leur écorce servent pour leurs vertus médicinales. Le bois de châtaignier est apprécié par les menuisiers et les ébénistes. Au village, et dans les champs, ses piquets étaient autrefois essentiels aux clôtures. M’étant quelquefois rendue dans les Cévennes, j’ai pris conscience de la puissance de la châtaigne où elle reste un symbole fort de cette région. Les paysages cévenols sont composés de châtaigneraies bordées de cultures en terrasses, avec parfois la survivance de « clèdes », des maisonnettes en pierres qui servaient à sécher les châtaignes.

Les Cévenols se souviennent combien ils ont pu survivre grâce aux châtaignes, durant les temps de disette ou durant les persécutions (nommées « dragonnades ») de Louis XIV, qui, avec la révocation de l’édit de Nantes, interdit le culte et fit massacrer les protestants. Ceux qui ont survécu dans la montagne cévenole se nourrissaient de châtaignes.

La bogue contient deux ou trois châtaignes . / ©S. Morgenthaler

Ces fruits d’automne ont nourri nos ancêtres durant des siècles. Leur farine (qui ne contient pas de gluten) est délicieuse. Les châtaignes séchées (qui deviennent dures comme une pierre) sont si pratiques. Elles se conservent longuement et la cuisson, faite après quelques heures de trempage, leur permet de retrouver leur forme initiale. Elles seront bonnes cuites à l’eau dans leur enveloppe, ou grillées, au four ou dans une poêle spéciale à trous. On n’oubliera pas, lorsque l’hiver sera là, combien le chou rouge sera ennobli par les châtaignes. Et, à l’approche des fêtes, les volailles farcies, l’oie de la Saint-Martin ou la dinde de Noël ne rechigneront pas devant l’ajout de châtaignes.

Heureux temps des châtaignes !
Scheeni Keschtezitt !

L’info en plus

La châtaigne n’est pas un féculent, ni un oléagineux, mais un akène, disent les botanistes.
Mieux vaut ne pas « se prendre une châtaigne », car cela correspond à un coup de poing. Dans le Midi, la châtaigne est parfois appelée castagne. Le terme désigne aussi la bagarre.
En Corse, être comparée à une châtaigne n’est pas flatteur, car cela signifie « être belle à l’extérieur et gâtée dedans ».

Le nom de Châtenois, vient du latin castinetum qui signifie châtaignier. En alsacien, le nom de cette commune du Centre Alsace est « Keschteholz », ce qui signifie « bois de châtaignier ».

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