samedi 23 novembre 2024
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C’est oui, ou bien c’est non ?

Le sujet est au cœur de l’actualité, de notre société, car des voix se sont élevées pour dénoncer des comportements inappropriés ou criminels. Parmi ces voix, celle qui fait le plus de « bruit » est celle de Vanessa Springora : « Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance ». Ce sont les mots de la Directrice des éditions Julliard et auteure de l’ouvrage “Le Consentement” aux éditions Grasset, le livre dont tout le monde parle et qui est en tête des ventes en France. Ce témoignage magnifique et si juste restera dans l’histoire comme un marqueur du temps où la façon de regarder notre société a commencé à changer.

L’auteure est la première à témoigner parmi les adolescentes abusées par l’écrivain Gabriel Matzneff, elle avait 13 ans, lui la cinquantaine, elle est tombée amoureuse, elle le croyait comme on croit à cet âge-là, dur comme fer. Sa vie sexuelle commence, c’est même sa première expérience de jeune fille, elle est innocente, vierge. Timide adolescence. Une mère trop permissive qui travaille beaucoup, un père absent. Il a senti tout ça Matzneff, comme une hyène attirée par l’odeur du sang. Elle est si jeune, si pure. Il aime ça, c’est son truc les peaux sucrées, les âmes douces. Pendant des semaines, puisque le corps juvénile de Vanessa Springora se refuse à lui, il la sodomise, et se débrouille pour qu’elle trouve tout cela normal. A-t-elle donné son consentement ? La question n’est pas là, justement. Pour un adulte, avoir des relations sexuelles avec une ado de 13 ans est interdit.

En fait, entre un adulte et un enfant, aucun rapport sexuel, aucun geste érotique ne peut être admis. Elle ignore tout des relations à deux, de la vie intime de cet homme. Pourtant dans ses livres, en vente libre et en bonne place dans son petit appartement parisien, il y a déjà tout. Pour mener tranquillement sa petite affaire, il lui interdit de les lire, il joue les amoureux transis, pas fou le prédateur, prêt à tout pour s’envoyer de la chair fraîche à Paris ou à Manille; il suffit ici d’un peu d’astuce, et là-bas d’un peu d’argent pour prendre un enfant de 10 ans. Prendre dans tous les sens du terme, oui. C’est dégueulasse, mais c’est la vie de Gabriel Matzneff, un homme du beau monde, un homme respecté, un génie de la littérature dit-on. Un jour, plus d’un an après le début de leur relation, Vanessa Springora comprend.

La jeune fille devient une femme. Elle fonde une famille. Mais le besoin de se libérer de cette histoire est une question de survie, alors qu’il continue à la poursuivre, à la harceler, multipliant des tentatives de contacts pendant 30 ans. Pour elle, il était évident que la littérature serait la voie qui la délivrerait un peu de l’emprise, de ses cauchemars. Elle a cherché longtemps la manière la plus juste d’écrire, elle a rédigé de nombreuses versions, puis choisi le récit pour coller au plus près de sa réalité. Son livre raconte l’époque où ce type perpétrait ses crimes sans être inquiété. Elle raconte sans pathos, le pendant et l’après, ces années où le pédophile paradait dans les émissions de télé et les remises de Prix littéraires (Prix Renaudot Essai 2013, l’année où le Renaudot fut attribué à Yann Moix).

Pendant qu’il continuait à revendiquer ouvertement son attirance sexuelle pour les mineurs, elle, Vanessa Springora, était seule avec cet Alien qui lui bouffait l’estomac, qui la transperçait encore et encore, qui se rappelait à elle dès qu’elle s’autorisait à vivre, à revivre, seule avec les provocations insupportables qu’elle prenait en pleine tête quand les médias faisaient leurs choux gras de ce consommateur de bouts de chou : « C’était important pour moi de faire rentrer dans le champ littéraire la voix d’une jeune fille qui avait été victime. C’est une voix qu’on n’entend jamais en littérature… Ce qui est récent c’est que j’ai réussi à aller jusqu’au bout de l’entreprise en étant le plus honnête possible, c’est-à-dire en l’écrivant non seulement à la première personne, mais en me replaçant dans l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’étais adolescente, en étant au plus près, au plus juste de mes sentiments d’alors », a déclaré Vanessa Springora dans une émission de France Culture. En devenant mère, l’auteure a compris la grande vulnérabilité d’un ado, la transition entre l’enfance et l’âge adulte.

« C’est un moment où l’on est une proie idéale pour ce type de structure psychique auquel on a affaire avec cet homme. La particularité chez lui, c’est d’être écrivain, et donc de redoubler son entreprise de prédation par une exploitation littéraire ». En ce début d’année 2020, l’agresseur est pris à son propre piège dans ce texte qui n’est pas un objet de vengeance, ce qui fait aussi sa force.   

Parler du consentement avec ses enfants

Et si les comportements déviants étaient une question d’éducation ? Et si tout commençait dès l’enfance, puis à l’adolescence, quand les enfants ont besoin d’entendre des réponses claires aux questions qu’ils ne posent pas ? Dès qu’il est question de relations intimes, il est légitime de se poser ces questions.

Dès ses premières relations amoureuses, pour affronter les stéréotypes sexistes, la peur du rejet ou les pressions de ses copains, il est essentiel d’apprendre à dire ce qu’on ressent et ce que l’on souhaite, expliquent les spécialistes. Et pour dire, il faut avoir appris à dire. D’un côté, l’école n’est pas le terrain idéal pour parler de sexualité, le sujet est souvent abordé trop tard, alors que les jeunes ont presque atteint l’âge adulte. De l’autre, les parents abandonnent souvent les discussions, trop souvent taboues. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes et aux réseaux sociaux pour comprendre ce qui se joue, qui ils sont et où sont les enjeux, alors qu’ils échangent souvent leurs premiers baisers autour de 12 ans, au moment où la notion de consentement est encore trop abstraite et les croyances sexuelles stéréotypées. Ils n’ont pas conscience qu’un ou qu’une partenaire doit exprimer un « oui » très clair, ou que le langage corporel, l’expression d’un visage, certains gestes (évitement d’un baiser par exemple) sont des signes qui ne trompent pas, que le consentement est une condition sine qua non.

Question d’éducation ? En éduquant mieux les garçons, irons-nous vers la fin des violences sexuelles, les situations à risque ou les mauvaises rencontres ? Pour beaucoup, c’est une évidence. Question d’éducation oui, mais de culture aussi. Combien de fois avons-nous vu au cinéma ou à la télé qu’une femme qui dit non ne dit pas forcément
non ? Même dans certains classiques comme « Autant en emporte le vent »… Il suffit d’insister un peu pour qu’elle se laisse aller, après tout, les femmes sont comme ça, elles aiment jouer ce jeu-là, comme au cinéma, non ? Dans la tête de nombreux hommes, si une femme dit non, c’est un bon début. Nous en sommes encore là ? Dans ce monde misogyne et violent, un monde pollué par des gros lourds qui pensent par exemple que la façon de s’habiller est un consentement et bien d’autres clichés d’un autre temps pas encore emporté par le vent ?

Les remarques sexistes pendant l’enfance légitiment la violence à l’âge adulte

De nombreux spécialistes de la violence sexuelle essayent de comprendre ce qui l’alimente. Le respect envers les femmes est-il suffisamment enseigné ? Comme l’expression des sentiments chez les garçons ? S’ils sont incapables de prendre conscience de leurs propres sentiments, comment font-ils pour apprendre l’empathie et pour contrôler leurs émotions ? Si l’on n’apprend pas aux enfants à fixer les limites de leur espace personnel et à respecter celles d’autrui, comment respecteraient-ils celles des autres ? Et puis, le langage est essentiel l’apprentissage du respect de l’autre : « Les parents doivent comprendre que certaines remarques pouvant paraître anodines peuvent poser les bases de la légitimation de la violence contre les jeunes filles et les femmes. Cela peut commencer par un simple Fais pas ta fillette ou Tu lances la balle comme une fille », indique la psychologue de l’Université de Floride Dorothy Espelage. Le message que ces propos véhiculent est sexiste et pousse les garçons à prouver que leur comportement correspond aux représentations masculines traditionnelles. Résultat, ceux qui se sentent dévirilisés seraient plus susceptibles de commettre des agressions sexuelles. Voilà l’une des clés qui permettra d’avancer un peu plus vite, pour vivre dans un monde de respect et de tolérance, le chemin est encore long.

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