Pour le Président de la Chambre d’agriculture Alsace, les jeunes qui s’installent sont des passionnés. « Dans le Bas-Rhin, il y a cette fibre et cette passion pour l’agriculture, et particulièrement pour l’élevage », mais Denis Ramspacher est bien conscient que cela ne suffit pas. « Les jeunes ne veulent pas travailler plus que nous. Et cette passion doit absolument être accompagnée d’un revenu correct ». Pour lui, il s’agit d’abord de technicité, du travail de l’agriculteur. « Il faut avoir la chance d’être dans une bonne production, au bon moment, de faire des investissements raisonnés ».
La Chambre d’agriculture est présente dans les lycées agricoles pour suivre les formations et auprès des exploitations pour suivre les investissements une fois que l’agriculteur est installé. Quand on lui demande s’il est optimiste pour son métier, il répond qu’il est un passionné, et qu’avec ses responsabilités il est obligé d’être optimiste. Réponse de Normand, ou d’Alsacien finalement, car il ajoute : « Il ne faut pas rêver, c’est un métier difficile qui dépend des aléas climatiques et sur ce terrain-là il faudra avoir de la résilience ». Effectivement, l’inquiétude vient plutôt du climat. L’agriculture doit, elle aussi, accélérer l’effort pour protéger la planète, et elle en a complètement conscience.
La Chambre est en première ligne pour accompagner les exploitants, mais on ne reviendra plus à l’air du cheval, il faut de l’innovation, il faut trouver de nouvelles méthodes et tout cela fait partie des réflexions actuelles.
Les jeunes découvrent la ferme
Sur son tracteur quand il nous répond, Florent Meyer cultive son esprit de famille comme quatre générations avant lui. Il fait surtout des framboises (1500 bouteilles de son nectar) et des pommes de terre (500 tonnes par an), il est même le roi de la pomme de terre dans le secteur. Plutôt fier de l’obtention du label Haute Valeur Environnementale (HVE) qui garantit que les pratiques agricoles utilisées sur l’ensemble d’une exploitation préservent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement, Florent engage des jeunes en saison.
Sur la trentaine qui est venue cet été, deux ont vraiment aimé ça. À ceux-là, je peux demander de venir le week-end. Dans chaque métier, il y a des choses un peu compliquées, mais les jeunes d’aujourd’hui peuvent encore aimer ce métier, c’est un peu compliqué, mais c’est possible. Je leur dis que s’ils veulent faire ce métier, il faut trouver une nana avec un père paysan, car le problème ce sont les champs. S’installer en dehors d’un cadre familial c’est très compliqué. Les temps ont changé, avant on était 50 % de la population, il y a 15 ans on n’était plus que 3 %, aujourd’hui on est sous les 2 %.
Et Florent Meyer de conclure : « Moi, je n’ai aucun regret ».
Pour certains, l’agriculture est un loisir. C’est le cas de Catherine Attali qui travaille à Lembach pendant son temps libre avec un petit troupeau de cinquante brebis pour entretenir les vergers. En juin dernier, l’exploitation familiale a obtenu le premier prix 2020 d’excellence agroécologique prairies et parcours, décerné par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. « C’est dur de vivre de l’agriculture, je suis double active, comme mon papa depuis 40 ans, nous n’avons jamais pu dégager un salaire de cette activité», mais sa grande inquiétude est le changement de nos paysages. « Dans nos parcelles, on garde les arbres morts, il y a des oiseaux, on privilégie les insectes, c’est aussi notre action en faveur de l’environnement pour pérenniser la biodiversité des Vosges du Nord. C’est une conviction. J’ai l’impression que ça commence à revenir chez les jeunes agriculteurs qui veulent être plus impliqués dans la préservation de leur territoire, mais c’est encore trop rare », lance Catherine Attali : « Ce métier plaît encore, des reconversions en agroécologie vont se faire lors des prochaines années ».
Comment faire pour que la jeune génération prenne la relève ?
Enfin, nous avons rencontré un autre lauréat du prix 2020 d’excellence, la ferme Hoeffel, 60 années de sélection en race bovine Charolaise, 180 ha, dont 40 ha en culture, tout en bio. Pour Corinne Bloch aussi, l’avenir est à l’agroécologie : « Il faut réapprendre à coopérer avec la nature ». Pour elle, ce métier peut plaire encore parce que c’est un métier de liberté et d’autonomie.
On se dépasse, on est confronté à des défis, chaque exploitation est différente et chacun peut jouer sa partition à sa façon, c’est incroyable. C’est un métier où l’on avance dans la vie, on se surpasse, on se dépasse, c’est très enthousiasmant. Alors oui, il ne faut pas compter ses heures, il ne faut pas vouloir devenir riche, mais on a une vie épanouissante, on se forge de belles convictions. Il ne faut pas pleurer la misère, on arrive à en vivre quand même. Mais attention, un paysan qui travaille 90 heures par semaine et qui ne gagne même pas le SMIC, ce n’est pas normal.
Corinne Bloch, de la Ferme Hoeffel
Et le problème est bien là, car comment faire pour que la jeune génération prenne la relève avec de tels chiffres? Corinne répond spontanément qu’il faut les accueillir dans les fermes, transmettre le goût du travail bien fait, le goût de l’effort, le goût de se confronter à quelque chose de plus grand que soi. « Dans notre métier on vit des émotions que l’on ne connaît pas dans une vie ordinaire », ajoute-t-elle. Et les mots de Denis Ramspacher vont dans le même sens :
Être paysan aujourd’hui est une aventure.
Une grande aventure humaine même.
Si l’on en croit les différents témoignages, l’agriculteur de demain sera respecté de tous, mais en première ligne, car il n’aura pas seulement les yeux rivés sur son lopin de terre.