L’histoire de la première Alpine a des faux airs de roman d’espionnage. Le 23 septembre 1944, Louis Renault, malgré sa contribution décisive à la victoire de la Première Guerre mondiale, tombe pour collaboration avec l’occupant nazi. Le patron de Renault est exécuté un an plus tard sur ordre du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et le constructeur est nationalisé par le général de Gaulle.
Dans les cartons du Losange, on trouve un prototype développé secrètement par les ingénieurs Fernand Picard, Charles-Edmond Serre et Jean-Auguste Riolfo, futurs cadres du constructeur tricolore. Il s’agit de la 4CV.
La première voiture française abordable de grande série est en effet née sous le manteau durant l’Occupation. Ce modèle, entré depuis au panthéon de l’automobile française, était parfaitement adapté à cette époque où l’on faisait encore la queue, ticket de rationnement en main, pour acheter du pain. Son slogan était d’ailleurs sans équivoque « 4 chevaux, 4 portes, 440 000 francs ! ». De sa sortie en 1946 à 1955, la 4CV est la voiture la plus vendue en France et le premier modèle français à atteindre la barre symbolique du million d’exemplaires écoulés.
De la 4CV à l’Alpine A106
Pendant ce temps, à Dieppe, un certain Jean Rédélé, directeur de la concession Renault locale, voit sa notoriété grandir. Cet élégant jeune homme, passionné d’automobile, a l’idée d’utiliser la 4CV en compétition. Fin mécanicien, Rédélé parvient à tirer le meilleur de la « motte de beurre », surnom donné à la 4CV en raison du coloris jaune des premiers modèles et de sa carrosserie si particulière. Le concessionnaire modifie la boîte de vitesses, les suspensions et pousse le moteur dans ses retranchements. En 1950, Rédélé participe à sa première grande course : le Rallye de Monte-Carlo, avant d’obtenir de prestigieux succès aux Mille Miglia, à Liège-Rome-Liège ou encore à la Coupe des Alpes. Le poids grévait toutefois encore les performances de la 4CV préparée par Rédélé.
À l’image d’un Ferdinand Porsche, qui partit d’une base VW pour créer le premier modèle sportif éponyme, le Dieppois a l’idée de demander à des designers de retravailler la carrosserie en ayant recours à l’aluminium. C’est ainsi que naîtront deux prototypes, la Rédélé Spéciale – victorieuse au Rallye de Dieppe en 1953 –, et The Marquis, née de l’association entre Rédélé et l’industriel américain Zark Reed, spécialisé dans la construction de coque de bateaux. Ce dernier modèle fait forte sensation au Salon de New York de 1953. Hélas, Rédélé se fait duper par Reed a qui il cède les plans pour une bouchée de pain. Un troisième concept connaîtra le même sort, la SCVS.
Voguant d’échec en échec, Rédélé brille malgré tout sur les circuits. Son idée est reprise par plusieurs designers qui vont trouver des solutions techniques aux problèmes qui ont plombé les trois concepts imaginés par Rédélé. Jean Gasselin, carrossier de père en fils, dessine, fin 1953, sa propre 4CV avec coach en plastique. L’étude plaît immédiatement à Gérard Escoffier, beau-frère de Rédélé, lui-même grand concessionnaire Renault. Le concept séduit en plus haut lieu : l’ingénieur en chef Picard, le père de la 4CV, valide l’homologation. La belle s’appellera Alpine, en référence aux succès de Rédélé dans les Alpes devant des Porsches ou des Jaguars, et 106, en hommage à sa grande sœur, la 4CV, qui portait ce numéro d’identification lors de son passage aux Mines. Le 6 juillet 1955, la société Alpine est officiellement créée. Charles Escoffier, associé de Jean Rédélé, se charge de la commercialisation tandis que le carrossier Chappe-Gasselin s’occupe du design.
Pour des raisons de coûts, mécaniquement, l’Alpine 106 est très proche de la 4CV. Le châssis et les trains roulants sont identiques. Le moteur, un 4-cylindres en ligne de 747 cm3, est placé en porte-à-faux arrière, et décliné en deux niveaux de puissance : 21 et 38 ch. La version la plus puissante est équipée d’une boîte à 5 rapports dont Rédélé a acquis le brevet. Son prix seul, à l’époque, atteint celui de la 4CV ! C’est bien la carrosserie en résine composite et les suspensions optionnelles « Mille Milles » qui font la différence. Rédélé n’était d’ailleurs pas très fan de cette première Alpine à qui il reprochait son allure (il n’aimait pas le plastique) et sa tenue de route perfectible. En six ans de production, l’A106 connaît ainsi quelques modifications.
L’adoption définitive du moteur le plus puissant en 1956, ainsi que celle des suspensions « Mille Milles », permet d’atteindre les 153 km/h. Les clignotants et le pare-brise emblématiques apparaissent en 1957 et des déclinaisons Cabriolet et Coupé Sport prennent la route, malgré une production qui reste artisanale. Enfin, la Berlinette Tour de France, qui parachève le succès d’Alpine en compétition durant cette période dorée du sport automobile français, ouvre la voie à la 108. Mais ça, c’est une autre histoire…