Nous avons rendez-vous pour déjeuner à Montmartre, dans un petit café chic, Les 5 marches. Elle arrive à l’heure, casquette sur la tête. Elle attache son vélo perso, un pliable qu’elle emmène dans le train depuis Strasbourg pour ne dépendre de personne et surtout pas des transports en commun et des correspondances. Antonia voyage léger. Obligé quand on passe plus de temps en dehors de l’Alsace, qui reste sa maison, que dedans. On ne s’est pas vu depuis un moment, alors elle demande des nouvelles, elle fait quelques blagues, avant d’aller se laver les mains. Je lui conseille un sandwich pastrami avec des frites maison, elle craque. J’engage la conversation, avec elle, les choses ne traînent pas. On entre dans le vif du sujet, sa vie, son œuvre.
Des salles combles
Antonia est une bête de scène depuis 25 ans, elle remplit les salles à chaque spectacle, des performances de haute voltige. Elle est un peu une cascadeuse de l’humour, capable de tout jouer comme dans ce sketch où elle passe en une minute de l’enfance à la vieillesse. Un sommet. Il faut dire qu’elle a roulé sa bosse en parcourant le monde, en participant à des dizaines d’émissions de télé, chez Arthur, Ruquier, etc. Pourtant, elle traîne un déficit de notoriété qui lui ferme les portes de grands rôles au cinéma. Même lorsque les réalisateurs veulent travailler avec elle, les producteurs ne « misent » pas encore sur son talent incontestable et protéiforme pour la première marche du podium. « C’est quand même les boules quand l’artistique te veut, mais que le fric ne te veut pas. Mais le succès est un plat qui se mange froid. » Ça viendra. Et puis, ce manque est relatif, Antonia mène une carrière formidable, on l’a vue dans All inclusive, La ch’tite famille, La vie pour de vrai, de Dany Boon, ou Flashback de Caroline Vigneaux au ciné, En place de Jean-Pascal Zadi sur Netflix, Désordre de Florence Foresti sur Canal +, elle joue devant des salles combles, 300, 500, 800 personnes en feu, partout. Mais « la gloire est une pente, un truc sur lequel tu es toujours en train de marcher, parfois un faux plat, tu as l’impression que tu n’avances pas ». C’est un truc auquel elle pense beaucoup, une sérénité à géométrie variable, il y a des jours et des lunes où l’artiste remet tout en question, où elle en a soupé des coups de dé.
Heureusement, son planning lui permet de passer vite à autre chose et la vie reprend le dessus. Elle travaille, encore et encore, pour décrocher un premier rôle et « monter les marches de Cannes un jour », sans oublier d’où elle vient : le théâtre d’impro avec La Lolita (Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale amateur de Strasbourg) en 1993. Puis rapidement, il y a eu l’écriture, les petites marches qu’elle a gravies pour être reconnue de ses pères et des professionnels qui programment son spectacle, puis la télé, la radio, etc. Antonia est toujours sur les routes, ou plutôt dans les trains avec son vélo pliable. Elle ne refuse jamais un casting. Elle est heureuse lorsqu’elle est choisie pour deux phrases dans Emily in Paris, quand on lui propose un spectacle d’impro, quand elle présente le Festival de la fiction de La Rochelle où l’an dernier elle a
« plié le game », quand elle anime la cérémonie Des trophées de la CCI ou les Top Music Live dans son Alsace natale, quand elle est chroniqueuse dans Piquantes l’émission de Nicole Ferroni sur Teva, quand elle joue son spectacle Scènes de corps et d’esprit partout en France, à Avignon cet été et même aux États-Unis.
Quelques jours après notre déjeuner, elle s’est envolée pour la Côte ouest, San Francisco ou Los Angeles, cinq soirs pour les communautés françaises des expatriés.
Une enfance joyeuse
C’est fou de constater à quel point elle n’arrête pas. En ce moment, elle travaille sur un unitaire pour la télé, elle coécrit un scénario pour le cinéma, elle bosse avec un jeune créateur de contenus qui montera bientôt sur scène. Et puis, des auteurs écrivent pour elle, un premier rôle dans une série. Cette boulimie est liée à la peur du vide : « J’ai grandi dans l’extrême pauvreté, je me souviens d’années avec mes frères et sœurs dans une maison sans chauffage, on achetait les produits les moins chers… ça ne fait pas très longtemps que je ne prends plus les savonnettes dans les hôtels… mais la dèche, ça ne veut pas dire le malheur, j’ai grandi dans une famille très joyeuse. On ne partait pas en vacances, mais on faisait du camping sauvage ». De son enfance, il reste le bonheur, l’harmonie de la fratrie, la famille (le thème de son dernier spectacle Scènes de corps et d’esprit), et le goût de l’effort. Elle n’oublie pas qu’elle a été championne de natation, c’est utile dans les eaux radioactives du monde du show-business.
La liste des bonheurs
Sportive, elle est restée. Presque chaque jour, elle s’impose 25 minutes de CrossFit, avec la musique à fond : « Je sais que sous ce petit corps gras, il y a une athlète de haut niveau, avec un fessier en béton… Mais bon, comme je compense en mangeant des pastramis, forcément… Plus sérieusement, je m’occupe de moi, c’est important ». Et pour ça, il y a le sport, le vélo, mais rien ne remplace les musées. La Schilikoise fréquente le Petit Palais à Paris, elle est allée à Vienne où elle a vu tous les tableaux de Klimt qu’elle vénère, à Prague pour découvrir l’œuvre monumentale de Mucha qui la fait rêver. Dans la liste des bonheurs nécessaires, il y a aussi les câlins à ses filles et son désir de maison façon hacienda avec un patio au milieu, à l’île de Ré ou en Toscane, « pour vieillir avec mes copines, comme des badasses ».
« Antonia est une bête de scène depuis 25 ans, elle remplit les salles à chaque spectacle »
Bon, avant la retraite, elle a encore quelques années devant elle, 50 ans, c’est le bel âge non ? « Ça m’a écrasé », elle dit. « C’est débile, ça fait trois ans que je dis que j’ai 50 ans. Mais ça va, les femmes de plus de 50 ans sont majoritaires, on commence à comprendre que cette génération prend la place… J’entendais l’autre jour quelqu’un qui disait que c’était normal qu’on soit un peu « hystérique », parce que les femmes sont premières de la classe jusqu’au lycée, mais elles n’ont pas les meilleurs jobs. Quand j’entends les histoires d’écart de salaire, ça me fait bondir… je suis scandalisée par l’impunité de certains hommes puissants. » Mais Antonia n’est pas celle qui sort un sein comme dans La liberté guidant le peuple, elle déteste le conflit et les attaques sur des réseaux sociaux qu’elle fuit le plus souvent, son militantisme se trouve dans les personnages de ses spectacles.
Le déjeuner se termine, elle a un train à prendre. Elle remet sa casquette LA, comme Loire Atlantique, rien à voir avec le pastrami et la choucroute, et elle remonte sur son vélo perso. Nous avons passé un joli moment aux 5 marches, en attendant celles de Cannes et le rôle dans un film « genre Jaoui/Bacri, dans un Guédiguian ou un Maïwenn, un cinéma authentique » qui fera d’elle une actrice incontournable du cinéma français. Ce qui ne va pas tarder, la badasse qu’elle est devenue a encore de beaux jours pros devant elle. Alors on se revoit bientôt en haut des marches. D’un rendez-vous avec Antonia de Rendinger, comme d’une maison alsacienne, on en sort transporté de joie, le cerveau et le ventre bien tendu.
L’info en plus
Antonia organisera et animera La Grande Nuit de l’Humour, le 07 novembre au Rhénus de Strasbourg, avec 12 artistes sur scène dont Oldelaf, Alex Ramires, Viktor Vincent, Anne Roumanoff, Elodie Arnould ou Mathieu Madenian.