samedi 23 novembre 2024
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Arnaud Keller – L’autopromotion pour mieux penser son habitat

Haguenau, ville durable, a souhaité réserver un îlot du quartier Thurot pour expérimenter une nouvelle manière de faire la ville où la maîtrise d’ouvrage est collectivement du ressort des particuliers futurs acquéreurs. C’est l’autopromotion. Concrètement, des ménages motivés par l’acquisition de leur logement choisissent de se regrouper afin d’investir ensemble dans un projet immobilier, un système né en France dans les années 60 avant de se perdre dans les années 80. Il est revenu à la mode depuis l’émergence de ce genre de quartier en Allemagne. Sur ce modèle, Haguenau a confié la mission d’amorcer et accompagner un projet immobilier de 8 à 10 logements en autopromotion à la société Unanimm (www.unanimm.fr).

Votre entreprise a été créée en 2010. Vous avez commencé avec une première opération qui vous a permis d’expérimenter votre concept sur un cas concret. Pourquoi avez-vous choisi l’autopromotion ?
À l’époque, avec mon associé, on organisait déjà de nombreux voyages d’études sur la thématique de l’urbanisme et de l’architecture durable, en Allemagne, en Autriche et en Suisse. C’est dans le quartier que tout le monde connaît à Fribourg que l’on a découvert le principe de l’autopromotion. On a compris tout de suite. Quand on implique des acquéreurs dans l’acte de construire, on arrive à une autre forme de quartier, car les gens sont impliqués davantage et attachés à leur lieu de vie. Et puis, lorsqu’un architecte ou un promoteur réfléchit à la construction d’un immeuble, s’il n’a pas les futurs résidents en face de lui, il construit selon ses idées, son idéal. En permettant aux personnes de s’impliquer, forcément, on construit quelque chose qui est plus adapté aux attentes. C’est assez surprenant quelques fois.

Par exemple ?
En permettant aux futurs acquéreurs de s’impliquer dans l’acte de construire, si le caractère environnemental est vraiment une préoccupation majeure, les futurs résidents sauront, en tant que donneur d’ordre, faire les arbitrages et les choix. Personne ne réfléchit à leur place. Les acquéreurs sont leur propre promoteur, mais pas tout seul naturellement, car nous sommes là pour encadrer et sécuriser la démarche de manière professionnelle, du début à la fin !

Quels sont les avantages économiques ?
Les acquéreurs étant leur propre promoteur, il n’y a pas de marge promoteur, mais dans notre système, nous proposons de réinjecter l’argent dans la qualité du logement et dans les espaces partagés. Quand on regarde ce qu’il s’est construit ces dernières années, on se rend compte que l’on n’est pas les moins chers, qu’on n’est pas les plus chers, mais j’ai la prétention de dire que l’on a fait plus que nos concurrents. Il est vrai que si l’on a une terrasse partagée de 250 m², un atelier de bricolage ou une buanderie commune, tout cela a un coût qui est souvent l’équivalent d’un T2 ou d’un T3. Nous fonctionnons par honoraires, ils sont établis à l’avance, c’est totalement transparent. Les futurs acquéreurs valident tout cela, ils savent combien chacun a payé son logement et ils connaissent l’ensemble des dépenses, donc nos honoraires forfaitisés, comme le prix de l’architecte et des travaux. Il y a aussi une enveloppe pour faire face aux aléas du chantier, et ce qui reste à la fin est restitué à l’ensemble des acquéreurs. Il arrive aussi qu’ils décident d’un investissement supplémentaire.

L’autopromotion exige une harmonie dans le choix des acquéreurs ?
Cela se fait au fur et à mesure, on ne parle pas d’un groupe constitué, de gens qui se sont cooptés et qui ont réfléchi à des règles communes, nous sommes ouverts, mais on choisit davantage des gens qui ne sont pas des militants, des gens qui souvent n’avaient jamais entendu parler d’autopromotion ou d’habitat participatif avant de nous contacter. Et puis, ils sont séduits par ce que l’on propose. La transparence des coûts, et la possibilité de rencontrer les futurs acquéreurs. Ils travaillent d’abord avec l’architecte pour personnaliser leur logement, et parallèlement, tous les mois ou tous les deux mois, on organise des temps de rencontres autour d’un repas ou d’un coup à boire, des instants qui permettent à chacun de faire la connaissance de ses futurs voisins et de créer des liens, progressivement. Quand arrive le choix des arbitrages, quand il faut savoir où l’on met l’argent, les choses se font. Un climat de bienveillance s’installe à l’échelle du groupe. On aboutit à une copropriété classique, mais dans laquelle règne un climat de bienveillance. Avec le temps, on s’est aperçu que ces personnes ne s’arrêtent pas au simple fait d’être propriétaires, elles sont aussi les moteurs du vivre ensemble à l’échelle du quartier.

Une photo de l’étude de faisabilité sur l’écoquartier Thurot de Haguenau / ©Documents remis

On en vient au projet de la ville de Haguenau dans l’écoquartier Thurot avec 10 logements du T2 au T5. Où en est le projet ? Des logements sont déjà vendus ? Quel est son nom ?
La Ville de Haguenau a très envie de tester cette nouvelle façon de construire. Actuellement, trois logements ont été très réservés par des personnes très intéressées par la démarche. Dès que nous aurons trois acquéreurs supplémentaires, nous enclencherons une nouvelle étape, il sera temps de réfléchir à la conception, au choix des matériaux. Il est vrai que ceux qui arrivent au début ont plus de latitude pour personnaliser leur logement, ce sont eux qui fixent les premières contraintes de murs porteurs par exemple. Pour l’instant, ce projet n’a pas encore de nom, ce sont les propriétaires qui choisiront celui de la société et donc du bâtiment. Nous avons simplement validé les volumes, les hauteurs et les retraits, le bâtiment n’est pas encore arrêté dans les détails, mais on sait qu’il y aura 10 logements maximum, un ascenseur, des espaces partagés à définir. Le permis de construire qui sera déposé l’année prochaine respectera la nouvelle réglementation thermique RE2020, mais les acquéreurs pourraient être encore plus exigeants, les discussions se feront avec les architectes et le bureau d’études.

D’après vous, l’autopromotion est un modèle d’avenir ?
Depuis 10 ans, nous développons l’autopromotion, nous ne sommes pas encore au niveau de l’Allemagne où des quartiers entiers se construisent selon ce principe, mais nous sommes là, on avance, il y a un engouement. Vous savez, quand on explique à ceux qui viennent nous voir qu’ils auront la possibilité d’obtenir du sur-mesure, la transparence des coûts, la possibilité de connaître ses futurs voisins, et s’ils le souhaitent de réfléchir ensemble à des espaces partagés, bien souvent les gens nous répondent que cela devrait être la façon normale de construire.

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