Benjamin Steinmann est infographiste pour le Groupe Sofemo, il vit à Hunspach, son village d’enfance. Réaliser un film à partir d’un scénario écrit quand il avait 12 ans était son rêve. Un vrai film, avec des vraies caméras et des comédiens. Passionné par les Malgré-Nous (les incorporés de force dans l’armée allemande) et les histoires que lui racontait sa grand-mère, Benjamin s’est engagé dans cette aventure un peu folle. À 29 ans, il dépense ses économies (4 000 euros) pour réaliser son film et son rêve. In Memoriam est maintenant diffusé en Alsace, avant de, peut-être, prendre son envol ailleurs.
L’aventure part d’un travail de collégien sur l’incorporation de force. 17 ans plus tard, vous signez une œuvre cinématographique. C’est incroyable ?
Oui. Le sujet n’était pas un exercice imposé par le collège. À l’époque, de 11 à 13 ans, j’étais en fauteuil roulant, immobilisé. Ma grand-mère me racontait des histoires. Elle me parlait beaucoup des Malgré-Nous, les incorporés Français qui ont porté la tenue allemande et qui sont partis sur le front russe. C’était tellement fascinant que j’ai écrit un scénario. Je n’imaginais pas l’adapter un jour et le diffuser au cinéma, ça c’est incroyable.
Pourquoi étiez-vous en fauteuil
roulant ?
J’avais une maladie des os, la hanche déboîtée, une nécrose… En fait, je n’avais pas le droit de prendre appui sur le côté gauche, j’ai fait une rééducation pour éviter la prothèse.
Cela vous a forgé un caractère particulier ?
J’étais très foot, très sport. Quand cela m’est arrivé, j’ai adapté mes activités. Je suis devenu totalement cinéphile. Ma passion pour la littérature est venue de là. Ma vie a changé à partir de là. J’ai commencé à écrire, d’abord de petits dialogues, et puis des scénarios de 200 ou 300 pages.
Qu’est-ce qui vous passionnait dans les histoires de votre grand-mère ?
Elle avait une manière particulière d’expliquer sa jeunesse, la vie de son village, elle parlait de son père incorporé, de la méfiance entre les familles, des partisans et des autres, de l’arrivée des Américains, pour eux c’était un choc comme une rencontre du 3e type. C’était vraiment intéressant d’avoir son ressenti ; elle avait du mal avec ces choses-là, je voyais qu’il y avait beaucoup de douleurs, mais elle les expliquait quand même. J’ai voulu garder cette émotion dans In Memoriam. Je me suis appuyé sur les mots de ma grand-mère.
Après mon premier scénario, j’en ai écrit d’autres, l’un sur mon passage à l’Hôpital, plein de petites choses… Il y a cinq ans, j’ai fait la connaissance d’une association qui organisait une reconstitution des deux guerres et je suis tombé sur une photo de Malgré-Nous. C’est le déclic. Je ne connaissais pas l’histoire de ceux qui étaient sur le cliché, des déserteurs alsaciens, totalement perdus entre les Russes qui les pourchassaient et les Allemands qui les qualifiaient de traîtres. Sur la photo, l’un d’eux tenait une pancarte, il y était écrit « sans patrie ». J’ai repensé à mon scénario. Je suis dit que je devais tenter l’impossible, qu’on allait me traiter de grand malade, mais je me suis lancé.
Comment avez-vous organisé le tournage ?
J’ai cherché des acteurs disponibles. En fait, j’ai booké mes copains d’enfance, ceux du mon village, tous concernés par l’incorporation de force ; je leur ai demandé de bloquer des dates, un an à l’avance, pour qu’à ce moment-là, ils ne fassent rien d’autre que mon film. Les costumes et accessoires ont été prêtés par l’association des Reconstituteurs de Weitbruch et le musée de l’Abri de Hatten. Nous avons tourné près de Wissembourg, en Forêt Noire côté allemand, au Col du Linge, haut lieu de la Première Guerre mondiale, vers Munster et à Schoenenbourg sur la Ligne Maginot. J’ai loué des caméras pour 25 jours de tournage. Nous avons plus de 2500 heures de rush, c’est beaucoup, mais il a fallu refaire les scènes de nombreuses fois. Quand je leur disais «travaille ton regard», mes amis ne comprenaient pas vraiment, ce n’est pas leur métier. J’ai fait 400 heures de montage. C’est incroyable… Cette histoire de toute façon est géniale. Au fil des samedis, chacun se mettait dans son rôle, on a progressé. Pour des questions de budget, il était impossible de réaliser un documentaire, avec des images d’archives. J’ai voulu m’en approcher avec la fiction.
Un mot sur votre avenir ?
In Memoriam sera projeté au Mégarex de Haguenau le 10 décembre à 20h (réservations : steinmann.benjamin@hotmail.fr ) et à la Saline en février. Après, j’ai très envie de travailler dans le milieu du cinéma. Le sentiment de remplir une salle pour un film que j’ai produit et réalisé est un bonheur incroyable. C’est très fort.