Vous et l’innovation, ça ne date pas d’hier ?
C’était il y a 20 ans, au début du SEMIA, le premier incubateur français de start-ups. Les deux premiers incubés ne trouvaient pas d’assureur. Je dois beaucoup à Stéphane Jenn le patron de Novalix; en discutant avec lui, alors que le marché n’existait pas encore, je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire.
Et c’était un risque pour vous de l’assurer ?
Oui. En général, lorsqu’un assureur ne connaît pas quelque chose, il n’y va pas. C’était mon premier vrai dossier dans l’innovation. J’ai réfléchi et présenté le dossier à une compagnie américaine qui a accepté de l’assurer. Comme j’ai fait mes preuves, on m’a demandé de traiter un deuxième dossier dans la foulée, c’était pour Polyplus qui a failli disparaître il y a 7 ans avant de trouver son marché aux États-Unis, elle fait maintenant 250 millions de chiffre d’affaires. Ensuite, cela s’est enchaîné et je me suis retrouvé à assurer une éolienne gonflable, une voiture amphibie qui vole, des gens qui multiplient les cellules à l’infini pour réparer les cœurs après un infarctus… Ce sont les belles histoires qui nous font vivre, et avec ces gens-là, je ne vis que de belles histoires.
Qu’est-ce qui vous passionne profondément dans tout ça ?
J’aime observer les changements. Cela me permet d’avoir un petit temps d’avance, tout simplement. Aujourd’hui, c’est compliqué de comprendre ce qui se passe dans notre société, les mouvements sociaux, etc. Les gens sont perdus parce qu’il y a beaucoup de modifications et d’évolutions. Les règles du jeu que l’on nous a donné depuis notre naissance sont en train de disparaître et sont remplacées par d’autres. Nous sommes en train de vivre la première révolution « sans sang », elle est numérique, la digitale. Les jeunes ne sont pas dans la rue, ils ne jettent pas de pavés, mais ils sont en train de nous virer, de prendre la place avec beaucoup d’intelligence, sans faire de bruit, ils sont vachement forts.
Ça vous fait peur ?
Non, car on leur laisse une société en guerre, polluée et égoïste. Eux, ils ont un autre comportement, ils partagent…
De quels jeunes parlez-vous ?
Je vois chaque jour des belles réussites, des autodidactes, mais globalement, je parle de ceux qui font des études. Je reviens sur un constat : après la tradition orale, il y a eu l’écriture, puis l’imprimerie et maintenant la digitalisation. Chaque période correspond à des révolutions, des famines, des guerres, des mouvements sociaux, mais derrière, les gens ont eu énormément de liberté, ils ont échangé. Aujourd’hui, les gens perdent pied parce qu’ils ne comprennent pas. Ils sont vécus dans un monde tangible, on leur a expliqué qu’il fallait croire ce que l’on voit et maintenant il faut croire en un monde qui n’existe pas. C’est déroutant. C’est normal qu’ils rejettent tout cela. Il faut les accompagner, leur expliquer.
Faire ce que vous faites avec Paddock Academy, c’est une manière de participer à la marche du monde ?
Pas du tout. Avec beaucoup beaucoup d’humilité, je veux juste amener une petite goutte d’eau. Je suis juste un facilitateur.
Un passeur ?
Oui, cela me plaît bien d’être un passeur. J’ai eu la chance de participer à plein de choses grâce à mon métier, j’ai eu la chance d’être heureux, et ça, je le dois à mon territoire. Aujourd’hui, mon envie est de créer des alliances pour que les choses aillent un peu mieux. Je n’ai pas besoin d’exister, pas besoin d’avoir mon nom au coin d’une rue, je ne veux rien de tout cela, je veux juste que sur mon territoire, les gens aillent mieux qu’ailleurs.
Et ça passe par ce lien avec ceux qui sont en train d’inventer le monde de demain ?
Oui, tu es obligé. On peut être rebelle toute sa vie, on peut aussi vivre dans son époque, s’y adapter et être heureux.
Je pense que ce qui définit l’adulte que l’on est devenu vient de l’enfant que nous étions. Où est le lien pour vous ?
Du goût des gens. J’avais un grand-père boucher-charcutier à Schweighouse-sur-Moder, et l’autre ouvrier communiste et résistant à Tarbes. Deux grands-pères d’une empathie exceptionnelle. Partout où ils passaient, ils avaient des potes, c’étaient des figures. Pour leurs femmes c’était invivable, mais tout le monde cherchait leur compagnie. Ça m’a forcément marqué toute cette empathie, ce besoin d’aller vers les autres. Je me souviens d’un Noël où ils étaient tellement heureux de se retrouver qu’ils sont partis boire l’apéro, ils sont revenus quatre jours plus tard avec un collier d’ail et un chapeau mexicain.
C’était une autre époque.
C’est marrant, en vous écoutant, j’ai l’impression que Claude Lelouch me raconte son prochain film…
Ça me touche ! Lelouch fait partie des gens qui m’ont marqué, avec un caractère affirmé, comme un Claude Nougaro, un Gainsbourg, de vrais gens.
Un mot sur ce bâtiment, Les écuries que vous avez complètement reconstruit et transformé !
Dans la vie, tu ramasses plein de pièces et tu ne sais pas pourquoi un jour le puzzle se met en place tout seul. J’ai toujours été attiré par l’innovation et la diversité et, en 2017, j’ai découvert les tiers lieux. Un jour, je me suis retrouvé devant ce bâtiment en ruine. Ma première idée a été d’y installer un incubateur. La mairie réfléchissait à un projet de ce type, mais pour eux il était préférable de ne pas dépenser l’argent public. On s’est lancé, on a fait des travaux et ouvert ce tiers lieu. C’est fantastique, sur le territoire, il y avait plein de gens d’une qualité exceptionnelle, mais ils étaient trop seuls. Ces gens-là sont venus.
Quel est votre rôle ?
De leur permettre de durer. Et le plus important, c’est que je ne veux surtout pas faire de l’ombre à quelqu’un ; si c’est le cas, ils viennent me le dire, je n’ai pas d’état d’âme. C’est l’avantage du privé. On est chez nous, on fait ce que l’on veut, avec agilité. On tire les conséquences des échecs, c’est très important. En prenant des risques, on augmente sa zone de confort et l’on va plus facilement vers le bonheur et la liberté.
Êtes-vous un homme libre ?
Oui. Mais je ne suis pas dupe, je vois beaucoup de choses autour de moi. J’ai la chance d’essayer de faire ce que j’ai envie de faire, et je n’ai aucun regret.