Comment l’idée de ce livre est-elle née ?
Claudia Siegwald : J’ai été embauchée aux HUS en avril 2020. C’est une date qui ne laisse pas indifférent, en pleine crise covid. Il a fallu mettre en place une information de santé publique, travailler à la gestion de la cellule de crise. Et fin 2020, on était vraiment à bout, crevés. J’invite alors Jean Plantu, l’illustrateur du Monde, qui nous a permis un petit pas de côté, un peu décalé, où il a commencé à illustrer les hôpitaux sur la crise covid. C’était une toute petite chose, mais ces illustrations étaient juste fabuleuses. Et, en 2022, j’ai écrit Face au défi, sur le retour d’expérience de la crise covid. C’est un ouvrage qui n’a pas été édité, mais diffusé ici à nos autorités de tutelle en interne, avec beaucoup de témoignages. Les racines viennent de là en fait.
Face au défi contenait déjà des témoignages ?
Claudia Siegwald : J’ai interrogé beaucoup de médecins, de soignants et je les ai enregistrés. Et quand j’ai appuyé sur le bouton covid, j’ai fait comme dans le milieu industriel, un retex—un retour d’expérience—mais là on appuyait très profond, ce n’était pas juste un bouton on/off, car bon nombre de médecins sont allés bien au-delà. Ils parlaient de leur vocation, de leurs convictions, de passion, de mort et bien sûr de vie. Et on appuyait non pas sur la partie cognitive, mais on plongeait très vite au niveau émotionnel. Donc j’édite le retour d’expérience covid, mais je trouve ça moyennement satisfaisant. C’était très froid. Il fallait que j’aille plus loin, à la rencontre de plein de gens, et j’ai continué ce « jeu » en écrivant tous les récits sur cette forme de « je » universel, sans que ce soit nominatif.
D’où vient ce terme d’Homo medicus ?
Claudia Siegwald : De ma tête ! C’est en fait ce professeur très perché qui s’est livré le premier. Moi j’ai la chance d’être ici à l’hôpital et, contrairement à d’autres, je ne suis pas malade—ou plutôt une malade qui s’ignore, ils sont très optimistes ici (rires) !–et je voulais rendre finalement au grand public ou au futur patient, à la population, ce que j’ai la chance d’entendre d’égal à égal. J’ai été assez étonnée que les gens me livrent ainsi leur vie. Tout ça, c’est 150 heures d’enregistrement ! Finalement, les gens se sont exprimés extrêmement librement, on est vite dans les sentiments, les émotions. Mon travail a été de ne pas prendre position, garantir l’histoire qu’on m’a racontée et de dire en fait, ces gens-là sont juste humains, il ne faut pas l’oublier. Il faut être fait de chair et d’os pour réparer un autre humain.
Vous commencez donc avec un professeur, avant d’interroger d’autres soignants, mais aussi un jardinier, une blanchisseuse, un agent d’accueil…
Claudia Siegwald : Au début, j’ai posé des questions covid à ce professeur, et puis grand moment de solitude, il me dit « c’est pas les bonnes questions ». Il se lève et finalement se rassied : « J’ai décidé de vous faire confiance » et il m’a raconté toute sa vie pendant 1h30. Je me dis, ce monsieur a autre chose à faire que de perdre son temps avec moi, donc ça veut dire que c’était important pour lui. Et je décide d’élargir progressivement, de manière aléatoire, A me renvoyant sur B puis sur C, sans passer par la voie hiérarchique en plus. Donc je croisais le jardinier, je posais les mêmes questions : « C’est quoi un patient pour vous ? C’est quoi la beauté à l’hôpital ? Pourquoi rester à l’hôpital public, vous êtes mal payé, c’est compliqué ? » Et à la fin, je leur disais de me raconter leur plus belle histoire. Ça prend les tripes, mais au bout c’est le bonheur.
Le bonheur illustré par Adrien Weber, qui a parfaitement su mettre en image les mots et les émotions ?
Claudia Siegwald : Oui c’était très imagé, je décide donc de faire travailler un illustrateur. Je me renseigne à la HEAR, l’école d’illustration strasbourgeoise, et je croise Adrien Weber. Et il m’illustre ce qui est devenu une carte de vœu (p.19) qui a généré beaucoup de choses. Du négatif, que c’est fait de bric et de broc, mais aussi que le patient est toujours en haut : c’est la réalité de l’hôpital aujourd’hui. Et ça m’a encouragée à aller plus loin, j’ai pris énormément de plaisir à réécrire ce qu’on m’avait raconté, non plus de manière descriptive, mais de manière narrative autour de la belle histoire.
On obtient ainsi 40 histoires qui sont classées en cinq thématiques.
Claudia Siegwald : Oui, mais il n’y a pas que 40 interviewés, c’est-à-dire que dans une histoire, il peut y avoir plusieurs personnes, qui me racontaient un peu la même chose ou qui se sont complétées au fil des interviews. Finalement, quand j’ai posé ces 40 textes, c’est venu très naturellement : les thèmes sont l’humilité, l’intuition, la compassion, le geste et l’universalité et sans prétention, c’est presque le serment d’Hippocrate ! (rires) Je voulais éditer ça pour le mois de juin parce qu’on a une fête hospitalière que j’ai initiée, pour faire entrer l’art, la culture, dans le milieu hospitalier. Ça s’appelle Prendre l’air, c’est un moment de répit. On a mis sur scène nos soignants et nos médecins.
Vous garderez ce modèle pour le lancement festif du 27 septembre à 18h30 à l’Aubette de Strasbourg ?
Claudia Siegwald : Oui, des soignants vont lire des extraits et surtout, on a un très bon neurochirurgien qui est également trompettiste de jazz semi-professionnel, et des professeurs qui se sont pris au jeu. Ils vont sortir un peu de leur rôle comme une espèce de cabaret hospitalier, qui va être assez émouvant je pense. C’est ouvert au public, c’est gratuit.
Le mot famille revient souvent…
Claudia Siegwald : Oui, alors tous n’ont pas la vocation, certains la trouve au fil des études, mais finalement, l’hôpital est une famille à laquelle on s’identifie. Une famille très hiérarchisée, tant mieux pour nous futurs patients que les soins soient très codifiés. Mais avec ce livre, je pense que ça a été la première fois où on a fait une table ronde atypique, de l’hôtesse d’accueil jusqu’au professeur, il y avait aussi le jardinier, le cuisinier, le médecin, l’aide-soignante, l’infirmière, la cadre… C’était absolument fabuleux d’être reconnu comme un élément indispensable, un maillon de l’hôpital. Aucun métier n’est invisible, on a 150 médecins, oui, mais sur 12 000 salariés ! Sans électricien, pas de respirateur ! Ce livre, normalement, remet tout le monde au même niveau, comme une chaîne hospitalière.
Extrait
La science est indispensable à l’exercice de la médecine. Mais seule, elle rend aveugle. Il faut être fait de chair et d’os pour soigner un être humain. La beauté de mon métier, c’est la force de la relation humaine, le respect d’un corps, d’une vie. Lorsque mon savoir est mis à mal, c’est mon instinct qui prend le relais, puis, à la toute fin, le gène humain. Je ne promets jamais rien. Je ne suis pas magicien ; juste médecin.
À la rencontre de l’Homo médicus est disponible en librairie, les droits d’auteur sont intégralement reversés à la Fondation Unistra.