« Notre présentatrice n’assurera pas la météo. Non pas pour cause de distanciation sociale, mais parce qu’elle a ses règles. » Peut-être avez-vous récemment vu passer cette campagne choc sur les chaînes de télévision française. Réalisée pour l’association Règles Élémentaires, elle met en lumière le sujet très tabou de la précarité menstruelle. Elles sont sans-abri, étudiantes, ou encore travailleuses pauvres, et ont un point commun : elles n’ont pas les moyens de s’acheter des protections hygiéniques pour pouvoir vivre leurs règles dignement.
En France, selon un sondage IFOP pour Dons Solidaires, 1,7 million de femmes souffrent de précarité menstruelle. Dépenser cinq à sept euros par mois en serviettes, tampons et antidouleurs, certaines préfèrent s’en passer. « La plupart du temps, j’utilise du papier toilette, ou je garde longtemps la même serviette », raconte Marie*, 21 ans, étudiante à l’université de Strasbourg. Et lorsqu’elles se le permettent, elles doivent choisir : « j’ai déjà sauté des repas pour pouvoir m’acheter une boîte de tampons » ajoute-t-elle.
Selon Règles Élémentaires, dont la mission est de collecter des produits d’hygiène intime à destination des femmes dans le besoin, la précarité menstruelle « peut provoquer de graves troubles physiques – démangeaisons, infections, syndrome du choc toxique pouvant occasionner la mort – et psychologiques – perte de confiance en soi, difficultés de réinsertion ».
L’Alsace n’y échappe pas
Le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CDIFF) du Bas-Rhin en sait quelque chose. Dans ses locaux à Haguenau comme à Strasbourg, ou lors de ses permanences en Alsace du Nord, il accueille 11 000 personnes en situation de précarité chaque année, dont une majorité de femmes. « La précarité menstruelle est un problème récurrent. Aujourd’hui la parole est plus libre, nous pouvons les questionner plus facilement sur leurs besoins, même si le sujet des règles est encore un tabou qui participe aux inégalités », explique Anna Matteoli, directrice adjointe du centre. « Les protections hygiéniques sont des produits de première nécessité qui exigent un budget important et passent souvent à l’as ».
Alors depuis plusieurs années, les collectifs et associations s’organisent pour recueillir ces produits d’hygiène intime. Depuis son lancement en 2015, Règles Élémentaires en a redistribué plus de 2 millions sur toute la France, à destination de plus de 50 000 femmes. À Strasbourg, plusieurs collectes ont été mises en place : sur le marché de Noël Off, à l’université, grâce au Collectif Golden Z – les Louisettes, ou même au sein du Conseil de l’Europe. Des dons fondamentaux, d’autant plus que les besoins se sont multipliés avec le confinement. Certaines étudiantes, par exemple, se sont retrouvées dans une situation très précaire du jour au lendemain, n’ayant plus de job. « L’AFGES, association étudiante alsacienne, a accueilli plus de mille personnes pendant la crise sanitaire, dont la moitié de femmes. Nous leur avons redistribué la totalité de nos collectes, ainsi que des produits offerts par la marque Always », explique Nadège Moreau, présidente et responsable de l’antenne du Grand Est.
Une sénatrice alsacienne s’implique dans la lutte
Le 28 mai dernier, quatre secrétaires d’État, Marlène Schiappa, Brune Poisson, Agnès Pannier-Runacher et Christelle Dubos, signent une tribune dans le HuffPost :
« Ensemble, brisons le tabou des règles ». « Il a fallu attendre 2019 pour que le sujet devienne un enjeu politique à l’Assemblée nationale et au Gouvernement », écrivent-elles.
Patricia Schillinger, Sénatrice du Haut-Rhin, très impliquée dans cette lutte, s’est vu confier une mission sur l’expérimentation de la gratuité des protections menstruelles dans des lieux collectifs. Ainsi, dès le mois de septembre, elles seront mises à disposition d’élèves du second degré et d’étudiantes, de détenues, de femmes en situation de précarité et sans-abri. Un budget de 1 million d’euros a été débloqué. « Nous sommes contentes que les politiques s’emparent enfin de ce sujet. Nous attendons beaucoup de cette expérimentation. C’est un premier pas », poursuit Nadège Moreau. Et si le suivant était de proposer, dans toutes les toilettes publiques, des distributeurs de protections hygiéniques en libre-service, au même titre que le papier toilette ?