vendredi 4 octobre 2024
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Frédéric Bierry – Une rentrée politique poids lourd

Le président de la CeA est passablement énervé. La politique française le désole, mais il est toujours dans l’action, ses désirs de sortie du Grand Est et de protection du territoire sont toujours vivaces. Pour la rentrée, il a invité la presse régionale à déjeuner, et pas pour parler de ses vacances.

Quel est votre état d’esprit en cette rentrée ?

On peut se réjouir, les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques ont redonné une forme d’unité et de grandeur à la France. Les Alsaciens ont obtenu cinq médailles olympiques et sept médailles paralympiques, on peut être très fier. Mais l’embellie n’est pas ce qui caractérise la politique nationale. J’ai été parfois consterné cet été, notamment par les intérêts personnels qui se sont succédé. On a vu des promesses de dépenses colossales, des délires dépensiers qui inévitablement appauvriraient la France et les Français. On essaye d’instrumentaliser nos concitoyens. Et puis, ce qui me désespère, c’est la France des boucs émissaires : du côté du RN c’est forcément l’étranger qui est responsable de notre situation, et du côté de LFI c’est forcément les riches.

Lorsque vous évoquez le déficit budgétaire, vous êtes très en colère !

Des propos scandaleux ont été tenus. Dans un communiqué qui venait de Bercy, on a osé dire que le déficit de notre pays venait des collectivités. Ce n’est rien connaître de la fiscalité et des finances publiques puisque les collectivités locales territoriales n’ont pas le droit de faire de déficit. Aucune collectivité en France n’est en déficit, contrairement à l’État. Ce sont des propos irresponsables, inconséquents et fallacieux. L’État devrait d’abord balayer devant sa porte avant de donner des leçons. Si je prends la CeA, par exemple, les décisions de l’État ont provoqué plus de 50 millions d’euros de dépenses supplémentaires avec l’élargissement du Ségur. Cela a du sens effectivement, je suis d’accord que l’on soit généreux, mais quand on est généreux, on l’est avec son argent, pas avec l’argent des autres. Pareil pour le RSA. Qui paye ? Les collectivités départementales. Pour le point d’indice, pareil, l’État décide et c’est nous qui payons. Comme d’habitude, l’État fait peser sur les autres les efforts qu’il n’a pas faits. Nous n’avons déjà plus aucune autonomie fiscale, aucune recette possible, nous ne pouvons que réduire nos dépenses. La situation financière est très inquiétante. Je sais que l’on est en train de nous préparer un coup, dans le projet de loi de finances il est prévu de supprimer l’allocation de solidarité, cela signifie 20 à 30 % de bénéficiaires du RSA en plus, car les gens ne toucheraient plus l’ASS et tomberaient automatiquement dans le RSA (payé par les collectivités), et bien évidemment, aucune compensation financière n’est prévue. C’est un scandale, c’est une posture de l’État qui n’est plus acceptable.

« Une nouvelle fois, ce sont les collectivités qui essayent de trouver des solutions. »

Quelles sont les solutions pour réduire la dette ?

Elles existent. Il faut commencer par les 1300 agents d’État qui coûtent 80 milliards à notre pays et qui ne rajoutent que des contraintes aux Français. Les hauts fonctionnaires pensent qu’en créant de la norme supplémentaire, on va améliorer la situation, mais ce n’est pas vrai. Il faut d’abord s’attaquer à ceux qui peuvent faire des efforts, et « en haut », ils devront en faire, car il existe un péril budgétaire pour notre pays et pour les collectivités. S’ils ne se remettent pas en question, on ira droit dans le mur.

Vous dites d’ailleurs que ce n’est pas le seul péril, il y a également un péril social ?

Oui, devant nous, il y a le mur du vieillissement. L’État procrastine depuis vingt ans. Rien n’avance, on n’a toujours pas fait la loi grand âge. Et une nouvelle fois, ce sont les collectivités qui essayent de trouver des solutions. C’est un sujet de fond sur lequel nous travaillons et qui justifie un engagement de notre pays tout entier, si l’on veut accompagner dignement nos aînés.

La protection de l’enfance est un autre sujet de péril social ?

Que ce soit l’Éducation nationale, la Santé ou la Justice, l’État est en retrait sur ces sujets. La protection de l’enfance est en grande souffrance. Et tout retombe sur les départements qui font face à des situations explosives. Les informations préoccupantes augmentent. Depuis la création de la Collectivité européenne d’Alsace, nous avons ajouté 60 millions d’euros par an dans la protection de l’enfance. C’est un sujet de protection majeur que nous prenons à bras le corps, mais on ne peut pas être les seuls.

Un mot sur le vote des Alsaciens aux législatives ?

Malheureusement, pour la première fois, nous avons un député Rassemblement National. Je l’avais dit à plusieurs reprises, si l’on n’écoute pas les Alsaciens, il y a des répercussions sur le vote. Nous tenions, même si le vote RN a toujours été assez haut, il n’avait pas franchi certains seuils. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Quand on n’écoute pas la population, quand elle vote et que l’on n’en tient pas compte, forcément il y a un retour de bâton. J’espère que le nouveau premier ministre sera à l’écoute des territoires.

À propos, où en est la sortie du Grand Est ? Vous avez vu le président de la République il y a quelques semaines à Oradour-sur-Glane, que vous a-t-il dit ?

Il m’a dit que j’avais raison, qu’il fallait revenir à des régions équilibrées, j’étais un peu surpris, car ce ne sont pas tout à fait les propos qu’il avait tenus lorsqu’il était venu en Alsace. Il semble avoir évolué.

On passe à un autre sujet, les routes : les travaux du contournement de Châtenois arrivent à leur terme ?

Oui, nous devrions pouvoir ouvrir dans quelques semaines. Ce projet va enfin voir le jour. Il est attendu depuis plus de soixante ans par les habitants de Châtenois et de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines, notamment ceux qui sont dans les bouchons tous les matins et tous les soirs.

On termine avec le trafic poids lourd en Alsace et la taxe que vous souhaitez mettre en place, ou en êtes-vous ?

Depuis longtemps, nous travaillons pour rééquilibrer la situation consécutive à la création de la taxe Maut en Allemagne et qui a généré une part du transfert du flux sur l’A35 et l’A36. Nous ne pouvons pas rester indéfiniment une variable d’ajustement du trafic européen. D’autant plus qu’il est en forte augmentation : sur les six premiers mois de l’année, c’est plus 18 % de poids lourds qui font le choix de traverser la frontière pour ne pas payer la taxe allemande. L’Alsace est un aspirateur à camions. Ce qui n’est pas neutre, en matière d’entretien des routes, de pollution sonore, de pollution atmosphérique, d’accidentologie à cause de la densité du trafic et des voies d’accès qui ne sont plus adaptées. Sur l’année, cela représente 1000 kilomètres de bouchons. On est dans une situation où nous devons prendre une décision.

Avez-vous travaillé en concertation avec le monde économique ?

La Collectivité a toujours été du côté du monde économique, on s’est battu pour continuer à le soutenir là où l’on voulait nous empêcher de le faire, ce n’est pas pour devenir aujourd’hui son adversaire. Nous avons travaillé pour faire peser le plus fortement possible la taxe sur le trafic de transit qui n’apporte aucune valeur ajoutée à l’Alsace et qui coûte de l’entretien de voirie. Nous avons travaillé sur les exonérations, elles seront nombreuses et concerneront surtout les entreprises alsaciennes. Nous avons retardé certaines décisions pour prendre en considération les remarques du monde économique qui n’est pas très favorable à une taxe, mais nous travaillons sur un projet qui doit permettre d’améliorer la sécurité, la santé et la fluidité. Nos réflexions ont évolué et nous avons réduit le périmètre taxable, qui sera essentiellement l’A35 et l’A36 et un petit bout de départementales dans le Nord Alsace. La mise en place de la taxe sera soumise aux votes de la CeA, sans doute lors de la session du 21 octobre.

À quel moment sera-t-elle effective, et quel sera son prix ?

Cela demande un temps de mise en place, un travail technique, la création d’un logiciel, donc si la décision est prise cette année, tout sera prêt fin 2026, début 2027. Son prix envisagé est de 15 centimes du kilomètre.

 

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