En Alsace, 35 000 entreprises étaient représentées par Bernard Stalter. Vous avez pris la succession d’un homme très respecté, comment les choses se sont passées ?
Je n’étais pas forcément demandeur, ce sont les trois vice-présidents qui m’ont demandé de prendre le relais. Quand je fais quelque chose, je n’aime pas le faire à moitié. J’ai d’abord pris le temps de la réflexion ; j’ai une entreprise, une famille et cette mission demande un grand investissement, mais je me suis lancé. J’ai préparé les élections même si j’étais le seul candidat, je n’étais pas censé le savoir, et j’ai structuré mon entreprise pour ne plus être « indispensable »; pour cela, je suis épaulé par mon épouse qui réalise un travail fantastique.
Vous connaissiez très bien Bernard Stalter, vous étiez proches ?
Oui. Je l’ai rencontré pour la première fois il y a quinze ans. Pour me dire au revoir, il m’a fait la bise, ce qui ne se faisait pas beaucoup entre hommes à l’époque. Son charisme m’a impressionné. J’ai su très vite qu’il allait changer ma vie, c’était une certitude. Bernard avait toujours deux coups d’avance et, quelque part, il avait échafaudé ce plan qu’un jour je le remplacerai à la présidence. Je n’ai pas oublié ses mots. C’était un ami, un confident, je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure, il était présent. C’est quelqu’un qui a porté les couleurs de l’artisanat jusqu’au plus haut niveau de l’État. Il a commencé comme coiffeur à l’âge de 14 ans, et il était devenu force de proposition, c’est lui qui a écrit en grande partie la loi sur l’apprentissage, la loi Pénicaud. Ce n’est pas rien !
Mais il avait refusé le poste de ministre de l’Artisanat !
J’étais à côté de lui ce jour-là. Nous étions à Mulhouse, on discute, son téléphone sonne, il s’isole quelques instants et revient un quart d’heure plus tard en disant que c’était Emmanuel Macron au téléphone, qu’il lui a proposé le Ministère de l’Artisanat. Mais il ajoute immédiatement qu’il a refusé, qu’il veut rester dans l’action, sur le terrain, que s’il devient ministre, il fera juste faire des courbettes et ne défendra plus les intérêts des artisans. C’était un moment très fort.
Pour être à la hauteur, il va falloir vous laisser pousser les moustaches ?
On m’en parle souvent. C’était le signe distinctif de Bernard Stalter, et je peux vous dire qu’à chaque fois que nous allions manger ensemble, on mettait plusieurs dizaines de minutes à rejoindre notre table, tout le monde le connaissait.
Avez-vous l’ambition d’être reconnu, dans tous les sens du terme, comme lui ?
Ma seule ambition est d’essayer de sauver les entreprises artisanales, que l’on parle de l’artisanat. L’Europe a débloqué 750 milliards d’euros pour venir en aide aux entreprises, mon rôle est de veiller à ce que cet argent arrive à la base.
À propos de la base justement, je trouve qu’il y a une certaine logique dans le fait que Bernard Stalter vous ait parlé de sa succession, car l’artisan transmet toujours quelque chose.
C’est clair. La transmission était très importante pour lui. Les artisans aiment passer le relais dans de bonnes conditions, c’est toute l’histoire de l’artisanat. Mon maître d’apprentissage était mon père, il m’a appris le travail, le coup de main, puis j’ai aimé mon métier, et je le défends chaque jour. Nous devons préserver ce passage de témoin du maître à l’apprenti. Chaque matin quand j’arrive devant le grand bâtiment de la CMA, je me dis que depuis 120 ans, des artisans se sont succédés pour porter haut leurs couleurs, pour bâtir quelque chose. Je pense aux corporations aussi, qui tiennent un rôle essentiel. Nous sommes devenus, avec la crise, force de proposition pour les pouvoirs publics. Nous sommes le relais sur le terrain. Nous pouvons faire remonter les problèmes, comme celui de l’apprentissage qui devient récurrent.
C’est-à-dire ?
Nous avons des artisans qui ne savent pas encore s’ils pourront prendre des apprentis à la rentrée. Ce qui signifie que d’ici deux ans, nous aurons un trou d’air, quand la crise sera derrière nous et que l’économie sera repartie, nous risquons de ne pas avoir assez d’ouvriers qualifiés, c’est une grosse inquiétude.
En tant que président, qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur, car je me sens vraiment soutenu. Mais je ne voudrais pas annoncer des chiffres catastrophiques pour l’artisanat, je ne voudrais pas dire qu’il y a 10 ou 15 % de pertes dans nos rangs, des entreprises souvent familiales depuis plusieurs générations qui seraient obligées de fermer à cause de la crise.
Il y a quelques jours, je vous ai entendu évoquer la mondialisation, le consommer local, les circuits courts. Il y aura des choses à changer ?
La mondialisation a montré ses limites. J’aimerais effectivement que l’on insiste sur des modèles beaucoup plus locaux pour l’artisanat, pour que tout le monde s’y retrouve. Dès le début de la crise, dans les métiers de bouche, on a continué à travailler et à se réinventer. En trois jours, nous avons mis en place les mesures barrières, du
« Click and collect », le paiement en ligne, du drive. Cela prouve à quel point l’artisan sait s’adapter à toutes les situations. Les façons de consommer ont changé, aujourd’hui on veut choisir depuis son canapé, il faut aller dans ce sens, tout en préservant le contact physique. L’idée est aussi que le consommateur change d’état d’esprit, et chaque artisan peut s’adapter à cette nouvelle donne. La Chambre des Métiers sera là pour les accompagner dans leur projet. Nous ferons quelque chose pour identifier les artisans qui prôneront les circuits courts. Nous en reparlerons prochainement.
En 2016 lors de notre premier entretien pour Maxi Flash, le titre de l’article était « Le boucher connecté ». Vous avez cette vision des choses dans la tête depuis longtemps ?
Oui, mais en huit semaines pendant le confinement, certains ont beaucoup plus évolué qu’ils ne l’auraient fait en cinq ans. Pour l’apprentissage par exemple, des gamins de CFA sont maintenant connectés depuis chez eux en visioconférence.
Serez-vous le président des artisans numérisés ?
Entre autres, oui. Je serai le président des artisans qui ont une vision et qui anticipent l’avenir.
Après cette crise sanitaire, on parle d’une crise économique. Comment voyez-vous l’avenir pour les artisans ?
On attend de la casse, c’est certain, mais vous savez, de nombreux artisans viennent ici pour s’enregistrer chaque jour, pour créer une entreprise, cela nous donne beaucoup d’espoirs. C’est un signe très encourageant, il y a des gens qui croient en l’avenir et ils ont raison.
Vous l’étiez déjà, mais vous êtes une fierté pour votre ville de Haguenau, c’est toujours important pour vous ?
Haguenau reste ma ville, mais je ne veux pas faire de favoritisme. J’ai enlevé mon tablier de boucher charcutier, je suis dans mon costume de peintre, de maçon, de coiffeur, de boulanger et des nombreux métiers qui constituent la CMA.