Maxi Flash : comment se sont passées les premières représentations en province ?
Jean Pierre Darroussin : l’accueil du spectacle est très émouvant. Les spectateurs retrouvent les salles de théâtre et ce qu’on leur propose est chargé d’émotions, de réflexions. Ils sont attentifs, c’est quasi religieux. J’ai droit à des silences comme je n’en ai jamais eu sur une scène de théâtre.
Quelle était l’idée de départ ?
Le pari était de partir de l’année 1891, de la façon dont Rimbaud a trompé la mort peut-être ; il est resté vivant jusqu’à nous, c’est ça l’idée. Il a pu observer ce qui s’est passé après cette expérience de la mort. Le personnage est dans une forme d’utopie, il se prend pour Rimbaud, un Rimbaud de toute éternité, porté par cette liberté fondamentale de dépasser les époques. André Breton disait de Rimbaud qu’il était « surréaliste dans la pratique de la vie et ailleurs », et c’est vrai, c’est quelqu’un qui dépasse largement le cadre du réalisme. Cet «ailleurs» est très important, cette volonté de n’être jamais être enfermé quelque part, c’est ce qui a porté ses fulgurances, ses échappées, qu’elles soient littéraires ou dans la pratique de sa vie. Il était toujours en fusion avec les éléments, avec le ciel, avec la terre, avec les arbres.
Comment est né ce projet ?
J’avais l’envie de faire un seul en scène, et Jean-Michel Djian m’a dit « j’ai envie d’écrire quelque chose, laisse-moi essayer ». C’est lui qui a trouvé l’idée de ce personnage qui se prend pour Arthur Rimbaud, ce qui lui permet de parler au-delà de toutes les époques. Cette idée m’a semblé très bonne, car la monstruosité et la folie sont extrêmement nécessaires dans le spectaculaire. Pour moi, pour un seul en scène, le spectaculaire passe par la monstruosité. Et l’on sent que vous avez pris un plaisir fou à jouer ce personnage !
C’est régalant. Je peux passer d’un moment d’absence à un moment d’hyperprésence, de rage, de colère, suivi immédiatement d’un moment de désespoir. Les contrastes et les montagnes russes du personnage, c’est tout à fait formidable pour un acteur, cela permet de se dépasser.
Et le dépassement est également physique !
Je ne m’en rends pas compte, mais on me le dit à chaque fois. Je vois bien qu’à la fin du spectacle je termine en sueur, je vois bien que je me suis engagé, car ce personnage m’oblige à parler avec beaucoup de force et d’intensité.
Pour la mise en scène, vous avez travaillé avec Anna Novion, votre compagne. Cette pièce est aussi une histoire de famille. Je sais qu’elle vous a proposé beaucoup de choses. Elle vous a même bousculé ?
Oui, elle s’est acharnée pour que je ne reste jamais longtemps dans une zone de confort. Cet « ailleurs » dont je parlais est aussi dans la mise en scène. Ce qu’Anna m’a demandé est très précis, la musique des mots est accompagnée par une chorégraphie corporelle.
C’était chouette de travailler avec elle ?
Nous avons déjà fait deux films ensemble, c’est la meilleure directrice d’acteurs que je n’ai jamais rencontrée. Elle perçoit les nuances infimes que peut proposer un acteur, elle s’en sert, elle sait les mettre en valeur. C’est sa première mise en scène au théâtre, elle était plus libre qu’au cinéma ou dans la réalisation d’épisodes du Bureau des Légendes, et du coup elle a proposé des choses avec beaucoup de simplicité, sans se préoccuper des codes habituels. Sa mise en scène est inventive et donne de la modernité à ce spectacle.
Comme le personnage de cette pièce, vous êtes-vous déjà pris pour quelqu’un d’autre dans la vie ?
Cela m’est arrivé, il y a longtemps. Je jouais Sorine dans La mouette de Tchekhov. J’étais beaucoup plus jeune que le personnage. C’était vraiment un rôle de composition. J’étais parti très loin dans la vieillesse et je me suis pris pour un vieux pendant un temps alors que j’avais 33 ans. J’étais déjà parti à la retraite, et j’ai mis longtemps avant de revenir dans la vraie vie. En principe, on essaye de garder une distance, entrer dans un rôle et en sortir est instantané. Je ne sais pas pourquoi ça s’est passé comme ça, quelle complaisance de moi-même s’est jouée, mais je me suis beaucoup plu dans cet état-là.
Certains acteurs ont du mal à trouver cette distance justement, comme Patrick Dewaere avec qui vous avez joué (son premier petit rôle au cinéma dans Coup de tête de Jean-Jacques Annaud). On peut parler de folie ? Pour un rôle aussi fort que dans Rimbaud en Feu, il existe un danger pour vous de rester trop longtemps dans le personnage ?
Patrick Dewaere mettait beaucoup d’intensité et d’engagement dans un rôle, c’est le moins que l’on puisse dire, comme dans Série noire, c’est au-delà de la performance. Pour Rimbaud en feu, le personnage est éparpillé, il n’a pas de réalité. Donc, je ne sens pas le danger, non. Mais il existe peut-être.
Vous jouerez à Paris à partir du mois de janvier, mais en ce moment la tournée (60 dates) fait le tour de France, sans s’arrêter en Alsace !
Je suis le premier à le regretter. En fait, les programmateurs qui ont acheté le spectacle n’ont pas pu le voir avant, alors on peut les remercier de leur audace. Il faut dire que personne n’a pu voir de spectacles pendant cette période de pandémie, qu’ils ont été obligés de nous faire confiance, mais c’est aussi cela d’être le relais de la création quand on dirige une salle.
Que connaissez-vous de l’Alsace ?
Je connais bien Strasbourg, je suis déjà venu plusieurs fois pour le théâtre, et pour tourner des films. Je me souviens d’un téléfilm que j’aime beaucoup, Le septième juré. Cela m’est arrivé de rester assez longtemps dans cette ville, mais je me suis trop rarement promené dans les Vosges. La région est vraiment très très belle. Moi, j’ai tendance à aller dans le Sud, du côté de la mer, et c’est un peu ça le handicap de l’Alsace, la mer est très éloignée.